Analyse

Vivre de sa plume au Québec, une réalité pratiquement impossible

Chaque mois, une moyenne de 2500 nouveautés en français est offerte dans le marché québécois du livre. Dans ce marché saturé, l’auteur voit ses chances de vivre de sa plume comme plutôt minces. C’est mathématique. « Comment se fait-il que l’auteur reçoive si peu sur la vente d’un livre qui est sa création ? », entend-on souvent. En fait, d’un point de vue financier et de gestion des risques, l’auteur est peut-être condamné à avoir un succès financier anecdotique.

Le livre est certes une œuvre culturelle, mais c’est aussi un produit culturel. Il faut un alignement des astres pour qu’un auteur réussisse à vivre de sa plume durant même une seule année : le bon timing, le bon auteur, le bon sujet dans le bon air du temps, l’intérêt de la masse, une faible concurrence, etc. Il y a donc une portion de chance ou de hasard dans le succès d’un livre. Surtout dans un marché moins favorable à la vente qu’à une autre époque. Surtout dans un marché où la concurrence dans un grand nombre de créneaux se fait de plus en plus vive.

Le coût de renonciation

Lorsqu’il choisit d’écrire un livre, l’auteur investit non pas son argent, mais son temps. La nature du temps qu’il accorde à l’écriture est son choix. En d’autres mots, certains auteurs investissent du temps personnel, du temps « perdu » ou du temps qui ne pourrait, à leurs yeux, se monnayer d’une autre manière.

L’auteur qui décide de se consacrer à temps plein à l’écriture prend un risque volontaire : celui de ne pas obtenir le succès populaire qui lui permettra de monnayer son temps. Surtout, il fait le choix de renoncer au salaire qu’il pourrait gagner ailleurs en exécutant un travail d’une autre nature.

Ainsi, si on écrit un livre à temps plein et qu’on pouvait gagner 20 000 $ durant la période d’écriture en travaillant dans une entreprise, on a une espérance mathématique bien mince, voire négative.

La réalité en chiffres

Parlons chiffres maintenant. Au Québec, la grande majorité des auteurs reçoivent une rémunération de 8 à 12 % du prix de détail suggéré ; certains auteurs ont droit à un meilleur pourcentage après avoir enregistré des succès de librairie. Des clauses sont également offertes par les éditeurs pour hausser le pourcentage lorsqu’un certain volume de ventes est atteint : 25 000 exemplaires vendus, par exemple.

Ainsi, si un livre se vend 24,95 $ à rémunération de 10 %, l’auteur touchera près de 2,50 $ par exemplaire vendu. Par contre, si ce même livre se vend au rabais, disons 18,95 $, l’auteur touche tout de même 2,50 $ et sa rémunération grimpe alors à 13,2 %.

En effet, celle-ci est fixée sur le prix de détail suggéré, et non sur le prix réduit.

Maintenant, si l’auteur réussit à vendre 5000 exemplaires de son livre, il peut crier de joie parce que c’est un exploit difficile à réaliser, mais cela ne fait quand même bien qu’un revenu de 12 500 $. Rien pour se payer une vie décente.

Le mix marketing du livre

Prenons le produit. L’auteur pond le produit brut, mais l’éditeur effectue (théoriquement) un travail d’accompagnement éditorial pour améliorer le manuscrit. À cet accompagnement, il faut ajouter les éventuelles mise en page, révision, correction, impression, commercialisation, etc. En règle générale, on attribue 30 % du prix de vente du livre à l’éditeur, mais il doit assumer un festival de coûts fixes : recherche et développement, ressources humaines, administration, loyer, entreposage, publicité, promotion, frais de destruction des invendus, etc. Surtout, il doit assumer le choc de ses coûts fixes si le livre ne fonctionne pas. Donc, sa marge d’exploitation est très nettement inférieure à 30 %.

Sur le plan de la communication, l’éditeur s’occupe des relations médiatiques, de la mise en marché et de la publicité.

Bref, une fois le livre terminé, l’auteur peut vaquer à d’autres occupations puisque l’éditeur s’assure que le livre soit distribué par l’entremise d’un distributeur (qui reçoit, lui, environ 20 % du prix de vente du livre) et que les points de vente appropriés aient des livres sur leurs tablettes.

Maintenant, pourquoi le détaillant reçoit-il la plus grande part du prix de vente, soit une moyenne de 40 % du prix suggéré ? Parce qu’il doit payer les employés, le loyer, les frais d’exploitation autres et assurer la diversité de plusieurs milliers de titres sur ses tablettes. Les coûts fixes sont élevés, surtout le coût du bail dans un centre commercial ou une artère achalandée.

L’auteur a bien assez de s’échiner à produire le meilleur livre possible. Imaginez s’il devait lui-même vendre chaque exemplaire en plus d’avoir passé des centaines d’heures de sa vie à l’écrire. Par conséquent, les 8 à 12 % de rémunération peuvent être considérés comme la marge brute de l’auteur après les frais de sous-traitance et le transfert du risque d’affaires principalement à l’éditeur et aux détaillants (libraires). Oui, le détaillant peut avoir quatre fois la rémunération de l’auteur, mais il a des coûts fixes colossaux à couvrir, si bien que sa marge d’exploitation demeure souvent mince.

Mathématiquement, à moins de se satisfaire d’un faible revenu ou encore d’avoir produit un très grand nombre de livres, l’auteur ne peut pas espérer vivre de sa plume. C’est une question de marché : l’offre dépasse la demande. Au Québec, faut-il donc considérer l’écriture d’un livre comme une activité complémentaire ? Chose certaine, tout succès commercial est l’exception qui confirme la règle, et rien ne garantit qu’il sera répété. 

Pourquoi écrit-on un livre alors ? Pour une série de considérations personnelles qui ne mettront pas nécessairement du beurre sur la table.

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