Agriculteurs en détresse

L’UPA passe à l’action

On a déploré son désengagement vis-à-vis de la santé mentale de ses membres. On l’a accusée de laisser traîner les choses. L’Union des producteurs agricoles (UPA) passe maintenant à l’action et mise sur une approche durable. Depuis plusieurs mois, un comité travaille à mettre en place un réseau de répondants dans toutes les régions pour prévenir la détresse chez les agriculteurs. On souhaite aussi implanter un programme de sentinelles en prévention du suicide bien à l’affût de la réalité agricole.

RÉPONSE TARDIVE

« On se préoccupe de cette problématique [détresse] depuis un certain temps, mais les producteurs n’aiment pas en parler. Se pencher sur la question n’est pas venu naturellement. Malgré la pudeur, il est important d’en parler et d’agir. On souhaite maintenant faire notre part, offrir de l’aide à notre mesure et dans le respect des agriculteurs », dit le président Marcel Groleau. Le Québec compte 42 000 agriculteurs et 29 000 fermes.

DES RÉPONDANTS RÉGIONAUX

L’UPA mise sur une approche d’écoute et de référence. « On ne veut pas se substituer aux professionnels », précise M. Groleau. La psychologue Pierrette Desrosiers, qui exerce en milieu agricole, a été consultée. Chacune des 12 fédérations régionales sera appelée à identifier et former un responsable de la santé psychologique. « Le répondant sera une personne élue et permanente qui aura parmi ses tâches de répondre aux besoins des agriculteurs en matière de santé psychologique. On veut intervenir en amont », explique Pierre-Nicolas Girard, responsable du dossier à l’UPA. D’ici l’an prochain, le projet devrait être en place.

PLUS DE SENTINELLES

L’UPA souhaite développer un réseau de sentinelles en prévention du suicide propre au milieu agricole. Présents dans plusieurs pays, les réseaux de sentinelles ont fait leurs preuves. « En Écosse, le réseau de gatekeepers figure parmi les solutions les plus efficaces. Ça permet des confidences qui ne seraient pas exprimées autrement », note Philippe Roy, professeur invité à l’École de service social de l’Université de Montréal. Au Québec, le programme, présent dans divers milieux, a été implanté en 2008 par le ministère de la Santé et des Services sociaux.

UNE FORMATION ADAPTÉE

Depuis 2008, entre 13 000 et 15 000 personnes ont suivi la formation de sentinelle conçue par l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS). Elle est d’une durée de sept heures. « Être sentinelle est un engagement volontaire et bénévole. On est les yeux et les oreilles dans notre milieu. On apprend à détecter les personnes plus vulnérables, à aller vers elles et à faire l’arrimage avec les ressources », souligne Julie Saulnier, formatrice au CSSS de la Vallée-de-la-Batiscan. En Mauricie, une vingtaine de sentinelles en milieu agricole ont été formées. L’UPA souhaite faire plus. « On veut adapter le contenu de la formation pour l’axer sur les enjeux des producteurs », dit Pierre-Nicolas Girard, qui collabore avec l’AQPS. L’UPA prévoit offrir 50 formations sur deux ans, dès l’automne.

PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ SENSIBILISÉS

Les professionnels de la santé peinent à joindre les agriculteurs, tributaires de leurs bêtes, surchargés de travail et loin des centres. « On souhaite développer des outils d’information sur la réalité agricole qui seraient destinés notamment aux CSSS et centres de prévention du suicide », indique M. Girard. « Notre système n’est pas adapté à leurs besoins, confirme la Dre Sylvie Lacoursière, médecin-conseil à la Direction de santé publique de la Mauricie. Nous tentons de les accommoder, par exemple en les rencontrant le soir, en prévoyant trois plages horaires en cas d’imprévu. »

AU-DELÀ DE LA MÉFIANCE

« Tout ce qui peut agrandir le filet social est une bonne chose, note Ginette Lafleur, chercheuse en psychologie communautaire. Des gens, qui sont à l’affût et en contact avec des fermes, peuvent diriger les agriculteurs vers les ressources appropriées. Encore faut-il qu’ils soient en mesure de trouver quelqu’un au bout du fil. » L’accès aux ressources en santé mentale est parfois difficile. « Il y a aussi énormément de méfiance, dit-elle. Il faut accorder une attention accrue à la question de la confidentialité et agir avec vigilance. » Elle ajoute : « Les agriculteurs n’hésitent pas à consulter pour un animal malade. Le défi est de les amener à se préoccuper tout autant de leur santé physique et psychologique. » Pour une agriculture en santé, ça prend des agriculteurs en santé, conclut-elle.

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