Opinion Claude Castonguay

L’insoutenable croissance

Au cours des dernières décennies, un changement profond s’est effectué, le libéralisme économique a supplanté le socialisme et les mouvements de gauche. Grâce aux immenses progrès qu’il a engendrés, il est devenu l’idéologie dominante. Sauf quelques exceptions marginales, telles la Corée du Nord et Cuba, la croissance économique constitue l’objectif prédominant partout dans le monde.

Il faut aussi constater que la croyance selon laquelle cette idéologie ne pouvait vivre que dans les démocraties ne tient plus. Le régime chinois montre à l’évidence que le libéralisme économique, n’ayant pas à se préoccuper des droits de la personne et des contraintes de la social-démocratie, peut non seulement vivre sous une dictature, mais aussi progresser plus rapidement que dans les démocraties.

Dans notre monde hautement concurrentiel, tous les pays ont ainsi comme objectif prédominant de toujours produire davantage de biens matériels et de consommation. Sans égard au fait que la capacité de la terre de produire a atteint et même dépassé, comme en font foi bien des rapports, ses limites.

Cette vision purement économique de la croissance a pour effet d’entraîner le monde dans une fuite en avant nettement insoutenable.

Nous sommes d’ailleurs déjà engagés dans d’inévitables catastrophes et destructions provoquées par la poursuite toujours prioritaire de la croissance économique. Chez nous les inondations toujours plus dévastatrices et chez nos voisins américains les tornades à répétition ne peuvent évidemment pas être les effets du hasard.

En fait, le monde est aux prises avec des déséquilibres majeurs tels la surexploitation des ressources de la Terre, la production excessive de gaz à effet de serre, la pollution des mers par le plastique, l’immense concentration de la richesse dans les mains d’une minorité et la terrible destruction de la biodiversité. Nous avons appris récemment à cet égard qu’environ un million d’espèces sont en voie d’extinction, ce qui signifie que les enchaînements de la nature sont rompus.

Inégalités croissantes

Ces déséquilibres provoqués par l’obsession de la croissance pourraient paraître moins injustifiés si la majorité des personnes en bénéficiait financièrement et en termes de qualité de vie. Mais comme nous le savons, la création de la richesse est largement accaparée par une infime minorité. Au cours des dernières décennies, les inégalités entre pays et à l’intérieur des pays n’ont cessé de croître. Heureusement, cette tendance est moins prononcée au Québec et au Canada.

L’image du 1 % qui s’enrichit pendant que les autres voient leur situation stagner alimente les mouvements populistes de gauche et de droite aux extrémités du spectre politique. Cela alors que les gouvernements font des coupes, toujours afin de maintenir la croissance, dans les services essentiels en éducation, en santé et dans les services sociaux.

Dans la réalité quotidienne, je ne peux m’empêcher d’être frappé par le luxe des installations des concessionnaires d’automobiles le long de nos routes comparé à l’état vraiment déplorable de la plupart de nos CHSLD. Dans notre monde axé sur la surconsommation, nous prenons mieux soin de nos automobiles que de nos malades chroniques et nos personnes âgées… Une comparaison sans doute boiteuse, mais qui fait réfléchir.

L’engrenage créé par la dynamique de croissance produit de plus sur les personnes de tous âges des effets hautement négatifs.

L’omniprésente publicité et le milieu social exercent des pressions soutenues pour que les gens s’engagent dans la surconsommation, les dépenses au-dessus de leurs moyens et la spirale de l’endettement. Un cocktail destructeur.

Comment freiner et même inverser ces tendances qui ne peuvent que s’accentuer avec la croissance de la population mondiale, selon les projections de 7 à 9 milliards à moyen terme ? Un tel virage suppose le passage d’un monde axé sur la production prioritaire de biens de consommation vers un monde équilibré dont les conditions de vie des personnes constituent l’objectif premier.

Seule une véritable réorientation de nos façons de faire peut freiner les excès provoqués par l’obsession de la croissance. Ce qui implique, et c’est là que se situe la grande difficulté, des changements dans nos habitudes de vie. Des habitudes considérées par les citoyens comme inviolables. Voilà le défi qui confronte l’ensemble de l’humanité. Un défi à l’échelle mondiale, du jamais-vu.

Or, la démocratie se prête très mal à ce genre d’exercice. En effet, la démocratie repose sur la recherche de compromis entre les opinions adverses qui se confrontent au sein de la population.

C’est ainsi que le gouvernement fédéral prétend pouvoir poursuivre la réduction des gaz à effet de serre tout en favorisant la production et l’exportation du pétrole extrait des sables bitumineux.

Au Québec, alors que le gouvernement est engagé dans l’établissement d’une politique de protection de l’environnement, il continue de prôner un troisième lien à l’est de Québec qui ne ferait qu’accroître l’étalement urbain.

Force est de conclure que ce n’est que sous la pression de la population que les gouvernements vont enclencher les grands et difficiles changements nécessaires. De là découle le caractère essentiel des mouvements qui militent contre les tendances actuelles.

Il y a heureusement un éveil encourageant qui se manifeste. On constate un éveil et des changements à bien des égards dans les habitudes. Les initiatives se multiplient à tous les niveaux, chez les individus, les entreprises, les communautés, les municipalités, etc. Les jeunes, ceux qui vont vivre dans le monde de demain, se font entendre de plus en plus. Il faut les prendre au sérieux.

En définitive, malgré toutes les zones d’ombre, des rayons de lumière percent.

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