Opinion Pascale Navarro

Le pouvoir de #moiaussi

Le Québec est en année électorale. Le mouvement #moiaussi si amènera-t-il plus de femmes à se lancer en politique ?

Aux États-Unis, l’organisme américain Emily’s List, qui recrute et soutient des candidates démocrates, a vu le nombre d’aspirantes politiciennes grimper de 900 à plus de 34 000 depuis l’élection de Donald Trump. Le Centre for American Women and Politics de la Rutgers University fait le même constat, et prédit une année 2018 particulièrement forte pour les femmes en politique, notamment au Parti démocrate. En sera-t-il de même chez nous ?

Le discours, vecteur de pouvoir

Dans les groupes et assemblées de femmes que je rencontre au fil du temps, elles sont nombreuses à dire qu’elles ne se reconnaissent pas dans la joute politique, la confrontation, l’autorité, voire l’intimidation. Elles disent ne pas aimer non plus les mêlées de presse, la hargne des périodes de questions. La réalité, c’est qu’elles n’ont pas développé une manière différente de pratiquer le pouvoir, car elles n’occupent pas en assez grand nombre l’espace politique.

Si l’on se fie à la théorie de l’historienne Mary Beard, auteure du récent essai Women and Power, a Manifesto (2017) et spécialiste de l’Antiquité, le pouvoir s’exprime depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui par l’accaparement du discours et par sa pratique. Or raconte l’auteure, ce lieu du discours n’a jamais été, dans l’histoire, occupé par les femmes. Il leur était même défendu.

Une mise au silence qu’illustre, décrit l’historienne, le rejet de Pénélope par son fils Télémaque dans le récit fondateur qu’est l’Odyssée d’Homère. Dans ce texte classique, encore enseigné aujourd’hui, Télémaque jugeait que la place de sa mère, femme, n’était pas dans le hall du palais, mais plutôt dans sa chambre. Beard donne aussi l’exemple des Métamorphoses, récit d’Ovide dans lequel la princesse Philomèle, une fois agressée puis exclue, se fait couper la langue. Bien sûr, on est là dans le symbolique, dans l’imaginaire.

Mais, explique Beard, ce modèle de récits et de rhétorique, d’où les femmes sont absentes, a servi de matrice à toute une tradition littéraire et politique reconduite à chaque époque (Renaissance, époque classique, jusqu’à aujourd’hui). Tradition qui s’est imprimée dans les codes de lois et le parlementarisme que nous pratiquons encore de nos jours, et structurant la politique, les savoirs, la justice, comme le démontrent les lois qui régissent nos vies.

De tout cela, les femmes ont été exclues. Elles n’ont pas écrit les règles du pouvoir politique ni construit ses structures.

L’autorité de #MoiAussi

Celles qui arrivent en politique ont tout un choc quand elles entrent dans cette enceinte entièrement façonnée par les hommes. Comme le dit Beard, si l’on parle d’un plafond de verre, c’est qu’il y a quelque chose là-haut, et que les femmes sont bel et bien à l’extérieur de cet espace politique. D’ailleurs, quand elles s’y aventurent, la majorité des femmes adoptent une certaine androgynie (de ton, de la personnalité, de vêtements) pour rejoindre le modèle de référence du pouvoir. Le « féminin » n’y a pas de place.

Mais voilà que #metoo, ce nouveau discours féminin tenu partout dans le monde par des milliers de femmes en série, pour reprendre l’expression prémonitoire de la professeure Martine Delvaux (Filles en série : des Barbies aux Pussy Riot), impose sa propre autorité.

Avec #moiaussi, le nombre donne du pouvoir aux femmes, quand des millions de témoignages convergent vers un même objectif : mettre au rancart une conception ancienne des rapports inégaux entre femmes et hommes.

Reconstruire

Les femmes n’aiment peut-être pas le pouvoir politique tel qu’il est pratiqué. Mais ça ne les empêche pas d’imposer le leur, en proclamant une nouvelle règle : l’intransigeance devant l’abus et le sexisme.

Il reste maintenant à incarner ce nouveau discours et ce pouvoir dans les structures qui nous régissent. Contrairement à l’image que l’on donne pour parler du mouvement #moiaussi, ce ne sont pas des plaques tectoniques, sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle, qui sont bousculées ; ce sont plutôt des structures qui sont ébranlées, et sur elles, nous pourrions avoir beaucoup d’influence.

Comme l’a expliqué dans le New York Times la journaliste et essayiste Susan Faludi (auteure du célèbre Backlash) les patriarches tombent, mais le système patriarcal, lui, est encore debout. Il est électrisant, dit-elle, de faire la révolution et de se battre contre des démons, ça l’est beaucoup moins de reconstruire sur d’autres termes.

C’est pourtant ce que devront faire les femmes en politique, soutenues par toutes celles qui, hors des parlements, veulent que leurs voix comptent.

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