Webster

Leçons d’écriture

Le rappeur Webster lance simultanément un album et un livre, poursuivant l’histoire d’amour qu’il entretient avec les mots depuis plus de deux décennies.

Avec ses lunettes sévères, sa chemise et son pull, l’homme qui consulte son ordinateur portable dans un café du quartier Côte-des-Neiges pourrait facilement passer pour un professeur de HEC venu profiter d’une pause entre deux cours.

C’est pourtant un rappeur que La Presse vient interviewer. Un rappeur qui, dans les premières pages de son livre À l’ombre des feuilles, en librairie depuis hier, raconte qu’au début des années 2000, il devait dissimuler une machette en plein concert, vu la tension qui marquait la scène hip-hop de Québec.

Un artiste qui, depuis bientôt 25 ans, chante la vie du quartier Limoilou, où il a grandi. Mais qui, à l’approche de la quarantaine, avoue ne plus avoir beaucoup d’affinités avec les codes de l’univers hip-hop auxquels se plient les jeunes artistes et leurs fans.

Aly Ndiaye, alias Webster, a résolument vieilli. Mais loin de lui l’idée de s’en plaindre. En plus de son bouquin, il sort ces jours-ci son quatrième album solo, qui, souhaite-t-il, rejoindra un public plus vieux resté fidèle à la musique hip-hop.

« Après mon dernier album [en 2013], j’étais un peu déçu de l’état du rap au Québec, raconte le chanteur en entrevue. Je trouvais que c’était un style qui ne vieillissait pas, comme si les gens l’associaient à une étape juvénile de leur vie. Je suis un adulte qui fait du rap, je fais donc du rap d’adulte. »

Il espère ouvertement rejoindre ce public avec son nouvel album, objet singulier qui ne ressemble à rien qui ait été enregistré au Québec. Exit les échantillons musicaux et les beats lourds du rap classique : Webster pose plutôt sa poésie sur le jazz métissé de rock du groupe 5 for Trio, originaire comme lui de la Vieille-Capitale. Outre quelques touches de scratch qui lui donnent une signature un peu old school, le produit final rompt tous les liens avec la tradition.

« Je voulais trouver un habillage différent, sortir de ma zone de confort. Je n’ai aucune idée comment les gens vont réagir à ça. »

— Webster, à propos de son nouvel album

Sur le plan des textes, il range également au placard les exercices d’égotrip ou de storytelling des albums précédents.

Le court ensemble de 10 pièces en 43 minutes qu’il offre se concentre sur une poésie personnelle, parfois abstraite, parfois bien ancrée dans le quotidien – notamment la piste finale, One Love, lettre débitée d’un trait et sans refrain à un ami en prison.

« C’est un projet qui n’est ni radiophonique ni facile d’approche, convient-il. Je vis bien avec ça. Je pense à des trucs, et si je trouve ça dope, je les écris. Vous en ferez ce que vous voulez. »

Les mots, puis le reste

Car c’est bien là que Webster excelle. Trouver le mot juste, l’image exacte, pour exprimer sa pensée.

Cette quête est d’ailleurs le moteur des ateliers d’écriture qu’il donne aux jeunes un peu partout en Amérique du Nord. Même si, concède-t-il, « la littérature dans le rap appartient à un âge révolu ».

« Les jeunes sont curieux, mais, parfois, ils trouvent ça compliqué et sont découragés, dit-il. Certains me voient comme un dinosaure. Mais beaucoup s’intéressent à la différence entre ce qui se fait aujourd’hui et ce qui s’est passé avant. »

Ce sont d’ailleurs là les bases de son livre À l’ombre des feuilles. La plaquette de 200 pages retrace d’abord les premiers pas du hip-hop de Québec, avant d’enchaîner avec les fondements de l’écriture rap, avec analyse de textes et exercices à la clé.

« C’était important pour moi que le nom de PrishaPack, premier groupe rap à Québec, se retrouve là. Le rap, ça s’écrit beaucoup dans l’oralité. C’est des noms dont une certaine génération se parle, mais que les jeunes ne connaissent pas. Plus on va vieillir, plus cette histoire va disparaître. »

Il voit en outre dans la portion « écriture » un véritable outil pédagogique qui pourrait être utilisé par des enseignants en classe.

Rappeur avant tout

En plus de l’album et du manuscrit lancés ces jours-ci, Webster consacrera bientôt un livre jeunesse et une exposition à l’histoire de l’esclavage au Québec.

Il ne cache d’ailleurs pas qu’il est assez heureux d’avoir l’occasion de parler de tous ces nouveaux projets et d’ainsi mettre derrière lui le rôle de commentateur qu’il commençait à se forger après avoir critiqué la production de SLĀV l’été dernier.

« La dernière année a été difficile. Au lieu d’amener l’art de l’avant, j’ai passé mon temps à être en réaction. J’ai tout dit mille fois [sur SLĀV]. J’ai décidé de passer à autre chose dans ma vie. »

— Webster

Et pour « passer à autre chose », il n’y avait qu’une voie : revenir à son essence, celle du rappeur qu’il est depuis le milieu des années 90, à l’époque où il bricolait maladroitement ses instrumentaux sur des cassettes pour chanter avec ses idoles qui forgeaient l’identité du hip-hop québécois.

« C’est mon premier job, et c’est ce que j’ai toujours voulu faire, insiste l’artiste et historien. Les autres choses que je fais, ce sont des déclinaisons de qui je suis. Mais le rappeur est toujours dans l’équation. Je veux montrer qu’on peut faire du rap sans devenir un stéréotype. »

« Des jeunes me demandent : vas-tu encore rapper à 60 ans ? Je leur réponds que c’est quelque chose que je peaufine depuis tellement d’années, alors pourquoi j’abandonnerais ? Je pense même que, à 60 ans, je vais être encore meilleur. »

Webster & 5 for Trio

Webster & 5 for Trio

Coyote Records

À l’ombre des feuilles

Webster

Québec Amérique

205 pages

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