Budget du Québec

Du rêve à la réalité

À quoi rêvent les ministres Carlos Leitao et Martin Coiteux ?

Certains diront qu’ils sont moins ambitieux que les Québécois sondés par La Presse+ qui aimeraient voir leurs dettes effacées.

Rembourser en totalité les emprunts du Québec relève cependant de « l’inaccessible étoile » de L’homme de la Mancha incarné par Jacques Brel. Réussir à éliminer le déficit budgétaire du Québec, c’est déjà beaucoup. Ce n’est en rien un objectif modeste, plutôt un rêve qui exige des efforts soutenus pour devenir réalité.

Les chiffres de la croissance économique de l’automne publiés hier par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) donnent plus de relief encore à l’ampleur de la tâche.

D’octobre à décembre, la croissance réelle annualisée a été de 0,4 %, contre 2,4 % d’un océan à l’autre.

Pour l’ensemble de 2014, le rythme d’expansion a été de 1,3 % contre 2,5 % pour le Canada.

Le ralentissement de la croissance à l’automne se reflète déjà dans les rentrées fiscales. Hier après-midi, le ministère des Finances a indiqué que le déficit observé en décembre s’élevait à 381 millions. En décembre 2013, il avait été de 121 millions. C’est le deuxième mois d’affilée où les données mensuelles de 2014 sont plus rouges que celles de 2013. Heureusement, l’année fiscale a mieux commencé et le déficit, estimé à 2,35 milliards pour 2014-2015, ne devient pas hors de portée avec ce mauvais mois.

Jeudi, M. Leitao a présenté un budget qui vise l’équilibre budgétaire en 2015-2016 en se fondant sur une croissance réelle de 2 % cette année, poussée par une croissance estimée à 1,5 % en 2014.

Fait à signaler, Desjardins anticipe 1,7 % cette année. Les chiffres publiés hier confortent cette prévision.

Si la croissance a été plus modeste l’an dernier, cela signifie que la marche à franchir est plus élevée cette année. Qui plus est, comme le quatrième trimestre a été anémique, il n’a fourni que bien peu d’élan à la croissance en début de 2015 alors que le rythme d’expansion du Canada et des États-Unis a considérablement ralenti.

C’est toutefois la croissance nominale, celle qui s’exprime en dollars courants, qui est déterminante pour que se concrétise le rêve de MM. Leitao et Coiteux puisqu’elle épouse davantage la variation de l’assiette fiscale.

L’ISQ nous apprend qu’elle a progressé de 0,8 % au quatrième trimestre et de 3 % pour l’ensemble de 2014, portant la taille de l’économie à 373,7 milliards. M. Leitao l’a estimée à 376 milliards pour construire son budget.

Il fonde le retour à l’équilibre sur une économie qui aura gonflé à 390 milliards cette année. Il s’agit d’une augmentation de 4,36 %.

C’est beaucoup.

Déjà, atteindre 390 milliards sur la base de 376 milliards représentait une croissance de 3,8 % du produit intérieur brut nominal. La moyenne du secteur privé, qui a lui aussi surestimé le PIB nominal de 2014, est de 3,5 %.

Estimer la croissance nominale est un exercice très difficile cette année.

Il y a consensus sur le fait que la croissance du PIB nominal sera plus élevée que celle du PIB réel, alors que ce sera l’inverse au Canada dans son ensemble, ce qui explique les difficultés du ministre Joe Oliver à préparer le budget fédéral en année électorale.

OPTIMISTE OU RÊVEUR ?

Il y a toutefois divergence sur les ordres de grandeur. Québec apparaît dans le camp des optimistes, les langues méchantes diront des rêveurs.

Le commerce extérieur a été le principal générateur de croissance l’an dernier. Son dynamisme a toutes les chances de se poursuivre cette année, mais à combien estimer son rythme d’expansion ? Sera-t-il suffisant pour stimuler les investissements des entreprises qui ont accusé l’an dernier un deuxième recul d’affilée ?

Pourra-t-on compter encore sur la consommation des ménages qui a augmenté de 3,6 % l’an dernier, alors que leur taux d’épargne n’est plus que de 1,3 % contre 4,0 % en moyenne dans l’ensemble canadien ?

On le voit : les Québécois ont raison de rêver d’effacer leurs dettes. Les inciter à consommer davantage, c’est les préparer à faire des cauchemars.

MM. Leitao et Coiteux n’ont pas tort d’aspirer à un Québec sans déficit. Reste la grande question, ou plutôt le grand rêve : comment donner de l’élan à une économie dont les bras, les cerveaux et les machines vieillissent ?

En attendant de trouver la réponse et de la mettre en œuvre, la gestion serrée des dépenses reste de rigueur. C’est d’ailleurs l’avertissement lancé hier par Moody’s. « Notre attention visera désormais à voir si la diminution de la croissance des dépenses est soutenable et capable de générer des budgets équilibrés. »

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