gourmand

DANS LA TÊTE DE CHARTIER

On le connaît pour ses nombreuses et impressionnantes réalisations. Mais qui est François Chartier ? Inspirés par le repas « Dans la tête de Chartier » qui se déroulera au restaurant barcelonais Dos Palillos la semaine prochaine, nous vous proposons une incursion dans son cerveau.

LE PETIT TURBULENT

François Chartier est né en 1964 à Montréal, rue… de Liège. Sur cette photo, prise en 1967, il ne faut pas se fier à son air angélique… « Je venais de lancer une cuillère au visage de l’un de mes oncles trop fatigant ! »

À l’école, « la fenêtre m’intéressait plus que le cours », raconte celui qui était un enfant turbulent. Le jeune Chartier nourrit des passions semblables à celles de bien d’autres garçons de son âge : enfant, il rêve de jouer au hockey ; ado, c’est la guitare qui l’intéresse. « Je voulais jouer dans un groupe de heavy métal ! », se souvient-il.

S’il ne vient pas d’une famille de fins gastronomes, tout jeune, il affichait déjà un penchant pour les arômes. « Après nos parties de hockey, j’allais souvent avec mon frère au Dunkin’ Donuts. Je parlais toujours des arômes, de muscade, de cannelle… Ça l’air que j’en étais même fatigant ! », lance-t-il en riant.

À la fin de l’adolescence, Chartier ne sait pas trop quoi faire de sa peau. Le premier déclic se fait à Tremblant, où il va travailler en restauration. Le cadre bucolique, le contact de la salle, tout lui plaît. « C’est là que j’ai compris que je ne voulais pas m’enfermer entre quatre murs. »

LA DÉCOUVERTE DU VIN

En 1986, il ouvre avec un ami, à Saint-Jovite, un… pub à bières importées, même s’il « ne connaissait rien à la bière, à part que ça pouvait être bon ! ».

Devant les clients qui en savent souvent plus que lui, il se met au travail, goûte des bières, prend des notes… « Je me suis fait prendre au jeu. J’ai découvert le goût ! Moi qui détestais la géographie, l’histoire et la chimie à l’école, je me suis mis à acheter des livres, des magazines, à me renseigner », raconte-t-il.

De fil en aiguille, ses recherches le mènent vers le vin. « Le vin a piqué ma curiosité très fortement », se remémore-t-il. Il suit des cours de dégustation au Club de dégustation de Montréal. Puis, un matin, il ouvre La Presse où il lit un article consacré à l’École hôtelière des Laurentides, la seule à offrir un cours en sommellerie à l’époque, en 1989.

« Je lis ça, je ferme La Presse, je vais voir mon associé et je lui dis : “Je vends mes parts, je m’en vais étudier en sommellerie !” Il m’a répondu : “En quoi ?” »

UN SOMMELIER AU SOMMET

À sa sortie de l’école, le jeune sommelier va en Europe, puis travaille pour plusieurs établissements québécoiss. Rapidement, il accumule les reconnaissances : il est élu meilleur sommelier du Québec, et du Canada, deux fois. En 1992, il se rend au Brésil pour le concours international, mais sans faire la finale.

« Je faisais des concours, car je voulais continuer à apprendre, à me dépasser ; ça me donnait un but. »

Le 12 décembre 1994 arrive « l’improbable » : il remporte, à Paris, la finale mondiale du Grand Prix International Sopexa, devenant le meilleur sommelier du monde. La scène, en plein Opéra de Paris, est « irréelle », se remémore-t-il.

Du jour au lendemain, il se fait happer dans un tourbillon médiatique. Mais toute médaille a deux côtés, rappelle-t-il : « Les gens m’ont mis sur un piédestal que je n’ai jamais demandé. J’ai changé pendant un certain temps, c’est clair que tout cela te monte à la tête. »

Refusant de jouer la « carte de l’ego », il cesse, en 1996, de travailler en restauration. Son club de vin devient son véritable « laboratoire ». « Je faisais des repas sous différentes thématiques et, déjà, avec ma connaissance de l’époque, je trouvais des ingrédients, des idées de recettes. »

« Dans la tête des gens à l’époque, je n’avais pas gagné le concours mondial. J’avais battu les Français ! »

– François Chartier

La part du destin

Ce qui l’a mené sur le chemin de sa science des « harmonies et sommelleries aromatiques », c’est bien sûr les connaissances qu’il a accumulées au fil des années sur l’œnologie et la cuisine, mais c’est aussi un événement dont il n’a jamais parlé ouvertement et sur lequel il reste très discret : un diagnostic de sclérose en plaques en 1995, puis une récidive en 2001.

En plus de l’amener à modifier en profondeur ses habitudes de vie, en changeant son alimentation et en faisant entrer la méditation dans sa vie quotidienne, ce diagnostic l’a mis sur la piste des molécules aromatiques, constate-t-il aujourd’hui.

« Rien n’arrive pour rien ! La sclérose en plaques m’a amené à étudier l’alimentation. Sans le savoir, j’étais en train de me mettre des mots de molécules dans la tête ; la curcumine du curcuma, par exemple, qui est un antioxydant, c’est un principe actif prouvé… mais c’est aussi un arôme ! », explique celui qui, s’il ne sait pas de quoi « l’avenir sera fait », ne présente pas aujourd’hui de symptômes de la maladie.

S’abreuvant aux ouvrages scientifiques d’Hervé This et de Harold McGee, « challengé » par la cuisine moléculaire qui a fleuri à l’époque, il réalise qu’il n’existe « aucun livre scientifique sur l’harmonie mets et vins ». Les germes du livre Papilles et molécules étaient plantés.

« Quand je regarde mon parcours aujourd’hui, je constate que ce sont vraiment les arômes qui sont au cœur de ma démarche depuis le début. »

– François Chartier

1 + 1 = 3

Cherchant à trouver le « chaînon manquant » entre les sciences de l’œnologie et de la gastronomie, Chartier finit par comprendre qu’il avait depuis longtemps la bonne intuition, avec ses « ingrédients de liaison » dont il parlait abondamment dans ses ouvrages, comme À table avec François Chartier, et aussi dans ses rubriques dans La Presse.

« Olives noires et syrah ; menthe et sauvignon blanc… Ce sont les bases de la science que j’ai créée par la suite. C’est l’effet de synergie aromatique. Quand deux molécules de la même famille se rencontrent, c’est 1 + 1 = 3 », résume-t-il.

Aidé par plusieurs scientifiques d’ici et d’ailleurs, il plonge à fond dans ses recherches, acquiert un savoir qui l’amène à travailler avec le célèbre chef Ferran Adrià, dans les laboratoires du restaurant elBulli, à Barcelone, avec lequel il collabore pour la création de quelque 70 plats.

« Ferran a vite tout compris. Il m’a dit : “Ta science, c’est l’harmonie mets et vins, mais c’est aussi la cuisine. Tu vas pouvoir nous aider.” Et c’est ce que j’ai fait ! »

En 2010, son ouvrage Papilles et molécules remporte le prix du meilleur livre de cuisine au monde (catégorie Innovation) au Paris Gourmand World Cookbook Awards. Une nouvelle science est née.

BARCELONE, MON AMOUR

Rapidement, Chartier tisse des liens professionnels et amicaux avec la ville de Barcelone, entre autres grâce à son travail avec Ferran Adrià et son équipe.

« Mon histoire d’amour avec Barcelone a commencé en 1992 quand j’y suis allé pour visiter des vignobles, puis s’est poursuivie avec les années. Je rêvais d’y habiter un jour. » Ce qu’il fait, depuis 2016.

C’est là qu’il a rencontré sa femme, Isabelle, une sommelière française installée là-bas qui est « la plus grande sommelière que j’ai jamais rencontrée », dit-il avec grand sérieux, et avec qui il a eu une petite fille l’an dernier.

Depuis trois ans, sa carrière est plus que florissante, et les projets se succèdent, de son entreprise d’importation privée, Les vignerons de Chartier, à l’intelligence artificielle en passant par le saké et le parfum.

Malgré les apparences, François Chartier assure qu’il n’est pas un « homme d’affaires » qui place ses pions à l’avance. « Je n’ai jamais fait de plan de carrière. Je prends les choses comme elles viennent et je les sens ou pas, j’y vais ou pas. Les idées me viennent tout simplement, et c’est encore comme ça aujourd’hui ! »

Et gageons que c’est loin d’être fini !

gourmand

DANS LA TÊTE DE CHARTIER

On le connaît pour ses nombreuses et impressionnantes réalisations. Mais qui est François Chartier ? Inspirés par le repas « Dans la tête de Chartier » qui se déroulera au restaurant barcelonais Dos Palillos la semaine prochaine, nous vous proposons une incursion dans son cerveau.

LE PETIT TURBULENT

François Chartier est né en 1964 à Montréal, rue… de Liège. Sur cette photo, prise en 1967, il ne faut pas se fier à son air angélique… « Je venais de lancer une cuillère au visage de l’un de mes oncles trop fatigant ! »

À l’école, « la fenêtre m’intéressait plus que le cours », raconte celui qui était un enfant turbulent. Le jeune Chartier nourrit des passions semblables à celles de bien d’autres garçons de son âge : enfant, il rêve de jouer au hockey ; ado, c’est la guitare qui l’intéresse. « Je voulais jouer dans un groupe de heavy métal ! », se souvient-il.

S’il ne vient pas d’une famille de fins gastronomes, tout jeune, il affichait déjà un penchant pour les arômes. « Après nos parties de hockey, j’allais souvent avec mon frère au Dunkin’ Donuts. Je parlais toujours des arômes, de muscade, de cannelle… Ça l’air que j’en étais même fatigant ! », lance-t-il en riant.

À la fin de l’adolescence, Chartier ne sait pas trop quoi faire de sa peau. Le premier déclic se fait à Tremblant, où il va travailler en restauration. Le cadre bucolique, le contact de la salle, tout lui plaît. « C’est là que j’ai compris que je ne voulais pas m’enfermer entre quatre murs. »

LA DÉCOUVERTE DU VIN

En 1986, il ouvre avec un ami, à Saint-Jovite, un… pub à bières importées, même s’il « ne connaissait rien à la bière, à part que ça pouvait être bon ! ».

Devant les clients qui en savent souvent plus que lui, il se met au travail, goûte des bières, prend des notes… « Je me suis fait prendre au jeu. J’ai découvert le goût ! Moi qui détestais la géographie, l’histoire et la chimie à l’école, je me suis mis à acheter des livres, des magazines, à me renseigner », raconte-t-il.

De fil en aiguille, ses recherches le mènent vers le vin. « Le vin a piqué ma curiosité très fortement », se remémore-t-il. Il suit des cours de dégustation au Club de dégustation de Montréal. Puis, un matin, il ouvre La Presse où il lit un article consacré à l’École hôtelière des Laurentides, la seule à offrir un cours en sommellerie à l’époque, en 1989.

« Je lis ça, je ferme La Presse, je vais voir mon associé et je lui dis : “Je vends mes parts, je m’en vais étudier en sommellerie !” Il m’a répondu : “En quoi ?” »

UN SOMMELIER AU SOMMET

À sa sortie de l’école, le jeune sommelier va en Europe, puis travaille pour plusieurs établissements québécoiss. Rapidement, il accumule les reconnaissances : il est élu meilleur sommelier du Québec, et du Canada, deux fois. En 1992, il se rend au Brésil pour le concours international, mais sans faire la finale.

« Je faisais des concours, car je voulais continuer à apprendre, à me dépasser ; ça me donnait un but. »

Le 12 décembre 1994 arrive « l’improbable » : il remporte, à Paris, la finale mondiale du Grand Prix International Sopexa, devenant le meilleur sommelier du monde. La scène, en plein Opéra de Paris, est « irréelle », se remémore-t-il.

Du jour au lendemain, il se fait happer dans un tourbillon médiatique. Mais toute médaille a deux côtés, rappelle-t-il : « Les gens m’ont mis sur un piédestal que je n’ai jamais demandé. J’ai changé pendant un certain temps, c’est clair que tout cela te monte à la tête. »

Refusant de jouer la « carte de l’ego », il cesse, en 1996, de travailler en restauration. Son club de vin devient son véritable « laboratoire ». « Je faisais des repas sous différentes thématiques et, déjà, avec ma connaissance de l’époque, je trouvais des ingrédients, des idées de recettes. »

« Dans la tête des gens à l’époque, je n’avais pas gagné le concours mondial. J’avais battu les Français ! »

– François Chartier

La part du destin

Ce qui l’a mené sur le chemin de sa science des « harmonies et sommelleries aromatiques », c’est bien sûr les connaissances qu’il a accumulées au fil des années sur l’œnologie et la cuisine, mais c’est aussi un événement dont il n’a jamais parlé ouvertement et sur lequel il reste très discret : un diagnostic de sclérose en plaques en 1995, puis une récidive en 2001.

En plus de l’amener à modifier en profondeur ses habitudes de vie, en changeant son alimentation et en faisant entrer la méditation dans sa vie quotidienne, ce diagnostic l’a mis sur la piste des molécules aromatiques, constate-t-il aujourd’hui.

« Rien n’arrive pour rien ! La sclérose en plaques m’a amené à étudier l’alimentation. Sans le savoir, j’étais en train de me mettre des mots de molécules dans la tête ; la curcumine du curcuma, par exemple, qui est un antioxydant, c’est un principe actif prouvé… mais c’est aussi un arôme ! », explique celui qui, s’il ne sait pas de quoi « l’avenir sera fait », ne présente pas aujourd’hui de symptômes de la maladie.

S’abreuvant aux ouvrages scientifiques d’Hervé This et de Harold McGee, « challengé » par la cuisine moléculaire qui a fleuri à l’époque, il réalise qu’il n’existe « aucun livre scientifique sur l’harmonie mets et vins ». Les germes du livre Papilles et molécules étaient plantés.

« Quand je regarde mon parcours aujourd’hui, je constate que ce sont vraiment les arômes qui sont au cœur de ma démarche depuis le début. »

– François Chartier

1 + 1 = 3

Cherchant à trouver le « chaînon manquant » entre les sciences de l’œnologie et de la gastronomie, Chartier finit par comprendre qu’il avait depuis longtemps la bonne intuition, avec ses « ingrédients de liaison » dont il parlait abondamment dans ses ouvrages, comme À table avec François Chartier, et aussi dans ses rubriques dans La Presse.

« Olives noires et syrah ; menthe et sauvignon blanc… Ce sont les bases de la science que j’ai créée par la suite. C’est l’effet de synergie aromatique. Quand deux molécules de la même famille se rencontrent, c’est 1 + 1 = 3 », résume-t-il.

Aidé par plusieurs scientifiques d’ici et d’ailleurs, il plonge à fond dans ses recherches, acquiert un savoir qui l’amène à travailler avec le célèbre chef Ferran Adrià, dans les laboratoires du restaurant elBulli, à Barcelone, avec lequel il collabore pour la création de quelque 70 plats.

« Ferran a vite tout compris. Il m’a dit : “Ta science, c’est l’harmonie mets et vins, mais c’est aussi la cuisine. Tu vas pouvoir nous aider.” Et c’est ce que j’ai fait ! »

En 2010, son ouvrage Papilles et molécules remporte le prix du meilleur livre de cuisine au monde (catégorie Innovation) au Paris Gourmand World Cookbook Awards. Une nouvelle science est née.

BARCELONE, MON AMOUR

Rapidement, Chartier tisse des liens professionnels et amicaux avec la ville de Barcelone, entre autres grâce à son travail avec Ferran Adrià et son équipe.

« Mon histoire d’amour avec Barcelone a commencé en 1992 quand j’y suis allé pour visiter des vignobles, puis s’est poursuivie avec les années. Je rêvais d’y habiter un jour. » Ce qu’il fait, depuis 2016.

C’est là qu’il a rencontré sa femme, Isabelle, une sommelière française installée là-bas qui est « la plus grande sommelière que j’ai jamais rencontrée », dit-il avec grand sérieux, et avec qui il a eu une petite fille l’an dernier.

Depuis trois ans, sa carrière est plus que florissante, et les projets se succèdent, de son entreprise d’importation privée, Les vignerons de Chartier, à l’intelligence artificielle en passant par le saké et le parfum.

Malgré les apparences, François Chartier assure qu’il n’est pas un « homme d’affaires » qui place ses pions à l’avance. « Je n’ai jamais fait de plan de carrière. Je prends les choses comme elles viennent et je les sens ou pas, j’y vais ou pas. Les idées me viennent tout simplement, et c’est encore comme ça aujourd’hui ! »

Et gageons que c’est loin d’être fini !

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