Aide médicale à mourir

« Tout s’est fait dans le plus grand des respects »

Le 18 août dernier, à 11 h, Rita Mainville a assisté à la mort de son fils. Sébastien Bernier, 44 ans, a réclamé et obtenu l’aide médicale à mourir. Une expérience « extraordinaire » que les familles « ne devraient pas craindre », témoigne Mme Mainville.

« Ç’a été fait dans la sérénité et le respect. Je sais que mon fils est maintenant en paix », relate cette femme de 75 ans qui habite à Châteauguay.

Sébastien souffrait d’une maladie dégénérative génétique : la xanthomatose cérébrotendineuse. Une maladie orpheline qui touche à peine 300 personnes dans le monde.

Dès sa naissance, Sébastien a présenté des diarrhées anormales. Vers 12 ans, il a fait des crises d’épilepsie. À 18 ans, le jeune homme a été traité pour des cataractes. Mais tout cela ne l’a pas empêché de mordre dans la vie. « Il était très sportif. Il faisait du ski, du football, du baseball, de la moto… », énumère Mme Mainville.

le début de la fin

Il y a 10 ans, le frère de Sébastien l’a amené en sortie d’escalade et a remarqué que son frère perdait facilement l’équilibre. À partir de ce moment, les événements se sont précipités.

Sébastien a passé différents tests et vu de nombreux spécialistes. Vers 2010, son diagnostic est tombé. « Un peu comme la sclérose en plaques ou la maladie de Lou Gehrig, c’est une maladie qui va de pire en pire », résume Mme Mainville.

Malgré la médication, l’état de Sébastien s’est peu à peu dégradé. Il a perdu son emploi d’agent de sécurité, car son corps ne suivait plus. Il a dû arrêter de conduire. Il a ensuite été obligé de quitter son logement pour être placé dans une résidence pour aînés.

En 2015, Sébastien a perdu la faculté de manger. Il a dû être placé en centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), et être gavé.

« C’était dur. Il vivait deuil après deuil. Il adorait manger. Cette étape a été très dure pour lui. »

— Rita Mainville

Sébastien a continué de voir ses deux enfants, âgés aujourd’hui de 8 et 16 ans. Mais il pouvait de moins en moins interagir avec eux. « À un moment, il ne voyait plus les couleurs. Il ne pouvait même plus jouer à des jeux de société », illustre Mme Mainville.

Parler est devenu difficile. Marcher aussi. « Il disait que les seuls plaisirs qui lui restaient, c’était de fumer et d’aller aux toilettes », dit Mme Mainville.

Le jour J

En mars 2016, Sébastien n’en pouvait plus. Il a parlé pour la première fois d’aide médicale à mourir. Les semaines ont passé, et sa volonté est restée la même. « Dès qu’on l’a su, on l’a appuyé à 100 %. On ne voulait pas qu’il parte. Mais il n’avait plus de qualité de vie. On a décidé de le respecter jusqu’à la fin. »

Comme toute personne pouvant obtenir l’aide médicale à mourir, Sébastien a dû choisir la date de la procédure : il a opté pour le 18 août, à 11 h. « Pourquoi cette date-là ? On ne sait pas. À la fin juillet, on a célébré le 50e anniversaire de notre mariage. Sébastien a fait un petit discours. Son frère l’a aidé. Il a vu toute la famille. C’était ses premiers adieux. »

Selon Mme Mainville, le plus difficile aura été cette échéance fixée d’avance. « On voyait la date venir. On était très émotifs. Ça, je dirais que c’est la partie la plus spéciale de la chose », dit-elle.

« Normalement, on ne sait pas quand quelqu’un meurt. Là, on avait la date et même l’heure. Nous, ça nous bouleversait. Mais pas Sébastien. Il n’a jamais changé d’idée. »

— Rita Mainville

Dans les jours précédant le 18 août, les amis et les proches se sont succédé au chevet de Sébastien. « Il y avait des pleurs et de la joie. Sébastien a pu dire au revoir à sa fille correctement », note Mme Mainville.

Le Canadien et U2

Le matin du 18 août est arrivé. Mme Mainville, son mari, le frère et le fils de Sébastien de même que d’autres proches se sont rendus à son chevet. « On est allés dehors. Il a fumé une cigarette. On jasait. On riait. À 10 h 45, Sébastien a demandé quelle heure il était. Puis il a dit : c’est l’heure. On est montés à sa chambre », raconte Mme Mainville.

Chacun a pris le temps de dire un dernier au revoir à Sébastien. De lui dire à quel point il l’aimait. « Oui, il pleurait. C’était la dernière fois qu’il nous voyait. Mais il restait déterminé. »

Pour l’occasion, Sébastien a demandé de porter sa casquette et son chandail du Canadien de Montréal. Il souhaitait que jouent ses chansons préférées : Imagine de John Lennon et du U2. Sébastien a aussi tenu à porter son dentier. « Il m’a dit : “Parce que peut-être qu’en haut, je vais pouvoir manger.” »

Avant de procéder, le médecin a demandé une dernière fois à Sébastien si c’était bien toujours ce qu’il voulait. Sébastien a répondu : « Oui, et vite. »

Mme Mainville était tout près de son fils quand il a reçu la première injection.

« Il s’est comme endormi. Il souriait. »

— Rita Mainville

Puis il a reçu la deuxième et la troisième injection, avant que le médecin ne constate le décès.

« J’avais peur qu’il souffre, mais non. Tout s’est fait dans le plus grand des respects. Je n’ai pas de mots assez forts pour dire à quel point les gens ont été professionnels. Ç’a été tout simplement parfait. C’était un beau départ. Dans un grand calme », dit Mme Mainville, qui estime que son Sébastien a été « un champion ».

Exister sans vivre

Plusieurs semaines après la mort de son fils, Mme Mainville est encore triste. « Je pleure souvent. Mais je suis en paix », dit-elle. Elle a voulu raconter son expérience pour rassurer les familles qui pourraient se retrouver dans sa situation.

Lors de la cérémonie d’adieu faite pour Sébastien après sa mort, Mme Mainville a cité des paroles de Victor Hugo, qui a dit que « le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre ». « Et Sébastien était rendu là, estime sa mère. Si on lui avait refusé l’aide médicale à mourir, il aurait été profondément malheureux. C’est sûr que je ne voulais pas qu’il parte. Nos enfants ne devraient jamais partir avant nous. J’aurais pris sa maladie n’importe quand. Mais il n’avait plus de bonheur. Je suis soulagée qu’il ait pu partir comme ça. »

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