Musique

Petula Clark, vue d’ici et maintenant

Humour fin, esprit vif, modestie, verdeur extraordinaire… On vous épargne la liste complète des louanges destinées à Petula Clark. Et on vous affirme avoir été littéralement enchanté par cette octogénaire phénoménale, accompagnée de ses réalisateurs québécois pour l’album Vu d’ici, entièrement interprété en français et conçu par une équipe d’ici.

Antoine Gratton et Louis-Jean Cormier n’étaient pas nés lorsque les enfants, ados ou jeunes adultes des années 60 fredonnaient les tubes de cette pétillante Anglaise à l’accent charmant, vedette à la radio et à la télé d’ici. Petula Clark était immensément populaire au Québec avant même d’être consacrée au Ed Sullivan Show, c’est-à-dire lorsque son tube Downtown la transforma en diva pérenne de la pop anglo-américaine.

En fait, la popularité de Petula Clark est tangible depuis trois quarts de siècle : la pérennité de son étoile était annoncée dans le ciel britannique alors qu’il était menacé par les bombes nazies. Née en novembre 1932, Sally Olwen Clark fut une enfant star dès la Seconde Guerre mondiale, encouragée par son papa à chanter des airs solidaires pour la patrie en péril. À la fin des années 50, la jeune femme était célèbre aussi en France et le devint partout en Europe avant de séduire les marchés québécois et canadien, pour ensuite devenir aux USA « the First Lady of the British Invasion ».

Elle aurait fort bien pu tourner le dos au public québécois et ne s’en tenir qu’aux principaux territoires conquis, alimenter sa légende auprès des Jacques Brel, Mick Jagger, John Lennon, Michael Jackson, Jimmy Page, Frank Sinatra, Sacha Distel, Harry Belafonte ou Glenn Gould de ce monde, mais non : elle lui est restée fidèle jusqu’à aujourd’hui, au point d’accepter que des auteurs, compositeurs, réalisateurs et musiciens québécois travaillent à la confection de l’opus Vu d’ici, dont la sortie précède son nouveau tour de chant au Théâtre Maisonneuve.

« Montréal a été et demeure une ville très importante pour moi. J’étais à Montréal en 1965, Downtown était numéro 1 aux États-Unis. Claude, mon mari, m’accompagnait alors et nous recevions sans cesse des coups de téléphone d’Ed Sullivan : “She’s gotta get here, she’s number one, she gotta do the show !” Claude grommelait : “Qu’est-ce qu’il veut, ce Ed Sullivan ?” Je lui disais : “I think it’s important.” J’étais finalement rentrée à Paris pour y donner des spectacles et ça a continué ! “She’s gotta get here…” Finalement, je suis débarquée à New York, totalement jet-lagged, pour une répétition devant public. Lorsque l’orchestre s’était mis à jouer Downtown, tout le monde était debout. Très excitant ! »

Quatre ans plus tard, Petula Clark a été invitée à Montréal par John Lennon pour participer aux chœurs de la chanson Give Peace a Chance, enregistrée dans une chambre de l’hôtel Le Reine Elizabeth à l’occasion du fameux bed-in pacifiste de John et Yoko. Pendant ce séjour controversé, d’ailleurs, elle fut chahutée lors d’un spectacle présenté à la Place des Arts.

« C’était un moment politiquement difficile pour le Québec. Quand je chantais en anglais, les francophones n’étaient pas contents et c’était pareil chez les anglophones lorsque je proposais mes versions françaises. J’étais sortie blessée de cette soirée. Un cauchemar ! Aujourd’hui, cependant, je vois que ça a beaucoup changé ici. »

Un portrait composite

Au fil du temps, Petula Clark a conservé son auréole. Miracle de la nature, cette femme de 85 ans enregistre, monte sur scène, manifeste une passion inassouvie pour son métier. Venue l’an dernier travailler dans le studio de Louis-Jean Cormier, elle se montre plus que satisfaite du résultat.

« Je ne peux pas me juger, mais… je trouve vraiment que c’est un bon disque ! », ricane-t-elle.

Petula Clark n’identifie aucune thématique centrale véhiculée dans Vu d’ici ; elle y voit plutôt un portrait composite constitué par ce nouveau répertoire.

« Chaque chanson est une facette d’un portrait que nous avons travaillé avec ces jeunes messieurs. Bien sûr, nous avions d’abord parlé des chansons avec leurs auteurs-compositeurs. Alors cela peut être leur avis sur moi, comme je suis aujourd’hui et non à l’époque de Downtown. »

Lionel Lavault, son imprésario, vit à Montréal et l’a rapidement convaincue de travailler avec des artistes surtout locaux pour ce nouvel album francophone – Diane Cadieux, Tino Izzo, France D’Amour, Nelson Minville, Christian-Marc Gendron, Luc De Larochellière, David Nathan, Mélanie Guay, on en passe.

Dans la foulée, Louis-Jean Cormier et Antoine Gratton ont été pressentis pour la réalisation.

« Je ne les connaissais pas et je n’avais jamais travaillé avec deux réalisateurs pour un seul album. C’était une équipe, en fait. J’ai eu un plaisir fou à faire ce disque, j’adore ces messieurs ! D’autant plus que les gens semblent aimer cet album, ce qui est très bien aussi ! »

— Petula Clark

Pour la première fois, les deux chanteurs et musiciens québécois réalisaient ensemble un album.

« En amont, nous avons fait le tour de ces chansons complètement différentes, raconte Louis-Jean. À ce stade, j’ai peut-être pris un peu plus de place dans la direction artistique ; qu’est-ce qu’on fait avec tout ça, où est-ce qu’on amène tout ça ? Nous avons eu l’impression de tout faire en même temps, nous avons porté plusieurs chapeaux. Ça a été tellement relax ! »

Forces complémentaires

Arrangeur chevronné, Antoine Gratton s’est imposé dans l’habillage des chansons.

« Nos forces ont émergé d’elles-mêmes, estime-t-il. Le côté auteur-compositeur de Louis-Jean et mon côté arrangeur. Quand ce fut le temps d’habiller les affaires, c’est moi qui ai pris les devants. J’ai fait pas mal d’arrangements de cordes, de cuivres et anches, etc. Les références aux classiques sont là [Burt Bacharach, Phil Spector, etc.], mais il fallait trouver l’équilibre entre le clin d’œil et l’imitation. Après tout, elle a travaillé avec les vrais ! Il ne fallait donc pas trop aller dans l’évocation directe pour ne pas avoir l’air de ti-culs. Il fallait piger dans l’histoire de Petula Clark et y faire référence. »

La principale intéressée souligne qu’un des moments les plus agréables fut l’enregistrement des chœurs à trois. « C’était le meilleur bout ! », s’exclame à son tour Antoine Gratton.

« Au début, reprend Louis-Jean, on faisait des prises de son un peu soft et… à un moment donné, elle nous a suggéré que ça rocke ! On a tourné les pitons avec plaisir ! »

Les prises de son ont été effectuées dans une seule pièce, tous artisans réunis.

« Nous étions avec l’artiste ayant le plus de métier pour les prises live comme dans les années 60. Son fameux tube Downtown, par exemple, avait été enregistré en trois prises ! »

— Louis-Jean Cormier

Petula Clark a-t-elle retrouvé ses réflexes dans ce contexte ?

« Bof, plus ou moins », répond-elle modestement, avant que Louis-Jean ne la corrige : 

« Elle est perfectionniste, très sévère envers elle-même. Il fallait jouer de psychologie et lui dire que tout allait bien. »

« Je m’énervais avec moi-même, admet-elle en souriant. On ne parvient jamais à son idéal, de toute façon. »

Vivre au présent est un autre ingrédient essentiel de sa longévité.

« Nostalgique ? Oh non. Mes souvenirs font partie de ma vie, je ne les renie pas, mais je ne tiens pas à en parler ou même à me les remémorer. Sur mon récent disque en anglais, une chanson s’intitule Living for Today. Ça, c’est moi. »

« Vous savez, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était », conclut-elle en déclenchant l’hilarité générale.

Au Théâtre Maisonneuve, jeudi, 20 h, Petula Clark présentera un tour de chant essentiellement francophone. Son orchestre sera sous la direction de l’Américain Grant Sturiale.

POP

Vu d’ici

Petula Clark

Les Productions Martin Leclerc

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