Journées de la culture / Souffles

Le chœur de Babel

Le chef de chœur André Pappathomas a vu grand. Très grand. Au terme d’une tournée des centres communautaires de Montréal, il a réuni plus de 250 choristes amateurs qui chanteront dans une dizaine de langues sur la grande scène Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

Oui, ce projet a toutes les allures d’une tour de Babel. Syrie, Ukraine, Roumanie, Pologne, Philippines, Congo, Rwanda, Madagascar, Nunavik, qui dit mieux ? Plus de 250 chanteurs amateurs réunis dans un seul et unique concert à la Place des Arts ? C’est le pari fou d’André Pappathomas, qui ne voit dans Souffles ni confusion ni incompréhension.

« J’avais envie de réunir des chœurs de différentes cultures pour créer une seule grande œuvre, a-t-il confié. Ce jeu des langues par rapport à la musique est très important pour moi. J’ai travaillé sur les phonèmes d’Antonin Artaud et, plus près de nous, de Claude Gauvreau. Ce rapport phonétique est pour moi une matière musicale incroyable : la sonorité des syllabes, les textures, tout ça est formidable ! »

André Pappathomas a initié les 10 chœurs de Souffles à ses techniques d’improvisation vocale. « Oui, je conviens que c’est un peu étrange, mais je vous invite à vous laisser aller, a-t-il lancé aux 40 membres du chœur syrien. Voyagez dans votre registre, écoutez autour de vous et allez porter la note qui pourrait embellir l’ensemble. Composez avec votre instinct. »

Rencontrée au cours d’une répétition, la semaine dernière, Joulnar El Husseini a admis que les premières rencontres avec André Pappathomas avaient suscité certains questionnements.

« On s’est demandé si c’était un chef sérieux, parce qu’il nous faisait faire des "Ouh" et des "Ah". Mais on s’est rendu compte qu’il savait où il s’en allait… »

— Joulnar El Husseini

« J’ai voulu les emmener dans cet univers d’improvisation qu’ils ne connaissaient pas, admet le principal intéressé. Dès qu’ils s’oublient un peu, il y a un nouveau type de chant qui prend forme. Un chant qui n’a plus aucun lien géographique, historique ou religieux. Comme les Syriens n’improvisent pas comme les Congolais, il se crée des couleurs fondamentales. »

Ces exercices d’improvisation formeront la « matière vocale » de la pièce d’ouverture de Souffles, à laquelle participeront tous les choristes réunis. « L’idée est de former une seule pièce contemporaine, a détaillé André Pappathomas. Ce sera la facture dominante du spectacle, mais elle comportera des mouvements de musiques plus particuliers liés aux différentes cultures représentées. »

DIX CHŒURS, DIX PIÈCES

Chacun des ensembles a préparé une pièce (ou deux) d’environ cinq minutes. Lundi dernier, La Presse a assisté à une répétition du chœur ukrainien, dirigé par Ivan Gutych. Les quelque 30 choristes de cet ensemble prennent leur rôle au sérieux. « C’est sûr que c’est très motivant pour nous », a confié John Panyszak, qui y voit une occasion en or de faire découvrir des chansons populaires ukrainiennes.

Même son de cloche du côté du chœur syrien, qui entonnera deux pièces du folklore syrien. Hommes, femmes, chrétiens, musulmans, les deux ensembles Antioche et Cham sont passés en quelques semaines de 25 à 40 chanteurs ! « On est très fiers de chanter dans une chorale syrienne, nous a dit Marie Moucadem. On ressent aussi une très grande liberté dans notre travail avec André. On n’est pas habitués à ça. »

« Il y a des chœurs qui existaient déjà, d’autres qui se sont formés pour l’occasion, mais c’est sûr que ce projet a eu un effet galvanisant, a constaté André Pappathomas, qui en a profité pour prodiguer quelques conseils aux chefs de chœur qu’il a rencontrés. Tant mieux ! se réjouit-il, parce que ce n’est pas facile de réunir des gens autour d’une idée ou d’une expérience collective. »

André Pappathomas et son ensemble Mruta Metsi (qui réunit une quinzaine de chanteurs et de musiciens) se sont donné pour mission de lier ces pièces entre elles. Des « entrepièces » au cours desquelles on pourra entendre des extraits de textes des auteurs Kim Thúy, Yvon Rivard et Natasha Kanapé-Fontaine, qui abordent chacun à leur façon le thème de l’errance et des déplacements.

« Ce qui revient chez chacun des auteurs, c’est la marche, nous dit le chef de chœur. "Si nous cessons de marcher, comment pourrons-nous traverser le jour ?" », cite-t-il de mémoire. Souffles fait également référence à la respiration. Trois chanteurs du Nunavik feront d’ailleurs des chants de gorge. Même s’il s’agit d’un concert vocal, il y aura quelques instruments de musique – piano, guitares, percussions et vents.

« C’est la culture qui s’offre à nous pendant une fin de semaine, conclut André Pappathomas, qui travaille sur ce projet de spectacle depuis près d’un an. Mais plutôt que d’aborder la culture par l’art, j’ai voulu l’aborder par la culture des peuples, leur langue, leur attitude. Ce qui va être très beau, c’est d’entendre toutes ces langues former une seule chose. »

Souffles sera présenté le 2 octobre prochain à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts

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