Chronique

Mont Royal : d’accord avec vous, M. Ferrandez

À part vouloir rouler plus vite et éviter les bouchons de circulation, il n’y a aucune raison de permettre aux autos de traverser la montagne de bord en bord en empruntant la voie Camillien-Houde.

Le mont Royal est un parc. UN PARC. Je n’écris jamais en majuscules, j’haïs ça, mais je suis prête à tout pour défendre la montagne. La voie Camillien-Houde n’aurait jamais dû être construite, mais bon, c’est fait. Elle a été érigée dans les années 50, époque folle où on ne jurait que par l’auto. Coût de la construction : 1,3 million.

Dieu merci, le règne du tout-pour-l’auto est révolu.

Pour qu’un parc reste un parc, il faut protéger jalousement ses arbres, sa tranquillité, ses sentiers. Réduire la circulation automobile tombe sous le sens. Ç’aurait dû être fait depuis longtemps. Imaginez construire une route au milieu du parc La Fontaine parce que le contourner prend trop de temps. Aberrant.

Mais reprenons le dossier depuis le début. Le flamboyant maire du Plateau, Luc Ferrandez, a proposé de transformer la voie Camillien-Houde, sorte d’autoroute au milieu de la montagne, en cul-de-sac. Ceux qui viennent de l’ouest pourront se rendre au lac aux Castors en auto ; ceux qui vivent à l’est pourront aussi grimper le flanc de la montagne en voiture et se stationner à la maison Smith près du lac aux Castors.

Une guérite ou des panneaux de signalisation indiqueront aux automobilistes qu’ils ne peuvent plus passer d’est en ouest.

L’idée de Luc Ferrandez n’est pas une lubie. En janvier, le maire de New York, Bill de Blasio, a interdit toute circulation automobile dans Prospect Park, le mont Royal de Brooklyn. À côté de Bill de Blasio, Ferrandez passe pour un timoré.

Encore une fois, Luc Ferrandez, responsable des grands parcs à la Ville, a soulevé une controverse en touchant au délicat dossier de la circulation automobile. En 2010, lorsqu’il a changé le sens de plusieurs rues dans le Plateau pour apaiser le trafic, il a eu droit à la totale. On l’a traité de radical, d’imbécile et d’idiot. Il s’est même fait cracher au visage, ce qui ne l’a pas empêché d’être élu avec de grosses majorités : 51 % des voix en 2013, 65 % en 2017.

Cette fois-ci, même si le mouvement d’opposition est moins intense, il est étonnamment fort. Une pétition en ligne a déjà recueilli près de 11 200 signatures.

Même si Luc Ferrandez est surpris par l’ampleur de la protestation, il comprend. « On atteint les gens dans leur quotidien, c’est normal. »

Pourtant, son projet est essentiel.

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Parlons chiffres. Environ 1000 autos empruntent la voie Camillien-Houde dans les deux sens, le matin et le soir à l’heure de pointe, soit l’équivalent du trafic sur une voie sur le boulevard René-Lévesque. Pour un parc, le poumon de la ville, c’est trop, beaucoup trop.

Avec les culs-de-sac, la circulation diminuera de 80 %, affirme Luc Ferrandez, ce qui est une excellente nouvelle.

Le mont Royal est un lieu de rassemblement. Environ 5 millions de personnes le fréquentent chaque année pour s’y promener, faire du patin, du ski de fond, du jogging, du vélo ou pour piquer-niquer. La moitié des ménages montréalais n’ont pas d’auto. Ce chiffre grimpe à 65 % dans les quartiers centraux de la ville, comme Rosemont et le Plateau.

La montagne l’été, c’est un peu le chalet des « pauvres ». Et quand on se fait un barbecue à son chalet, on ne veut pas voir les autos nous passer sous le nez. On veut la paix, la sainte paix avec les arbres et les petits oiseaux.

La dernière chose dont le mont Royal a besoin, c’est d’une voie rapide qui le défigure comme une vilaine cicatrice. Avec le projet-pilote de Ferrandez, seuls les autobus, les véhicules d’urgence et les convois funéraires, présence des cimetières oblige, auront le droit de traverser la montagne.

« On aimerait réduire la largeur de la voie à quatre mètres dans chaque direction et en faire une petite route couverte d’arbres, m’a expliqué Luc Ferrandez. Actuellement, Camillien-Houde fait 33 mètres de large à certains endroits. »

Plusieurs opposants affirment que les culs-de-sac vont diviser la ville, l’est d’un bord, l’ouest de l’autre. Je n’y crois pas une seconde. On ne vit pas en Allemagne à l’époque de la guerre froide et les panneaux de signalisation de Ferrandez ne ressembleront en rien au mur de Berlin. On parle de transformer la voie rapide en cul-de-sac, pas de menacer les relations est-ouest de Montréal ou de briser son équilibre géopolitique.

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La montagne a toujours été convoitée par les promoteurs qui veulent construire des condos et les cimetières qui rêvent de multiplier les mausolées.

La montagne est déjà grugée. On y trouve 7000 immeubles, une quarantaine d’institutions, 1200 propriétaires privés et quatre cimetières, juif, portugais, catholique et protestant.

La lutte pour protéger la montagne ne date pas d’hier. En 1859, des citoyens ont protesté parce qu’un propriétaire avait abattu tous les arbres de son domaine pour vendre du bois de chauffage.

À la fin des années 80, le service d’urbanisme de la Ville de Montréal a proposé de construire une cabane à sucre, un funiculaire, un centre de ski alpin et une tour d’observation !

La dernière lubie remonte à 2016, lorsque la Chambre de commerce a lancé l’idée de construire une télécabine qui relierait le parc Jean-Drapeau au mont Royal. Une télécabine avec des pylônes, des câbles et tout le bastringue, plantée au beau milieu du mont Royal. Heureusement, l’idée n’a pas trouvé preneur.

Pour protéger la montagne, le gouvernement du Québec en a fait, en 2005, un arrondissement historique et naturel. En 2012, ce statut a été renforcé : le mont Royal est devenu un site patrimonial. Le développement n’est pas gelé pour autant, mais chaque coup de marteau doit être approuvé par le ministère de la Culture.

Il faut non seulement protéger la montagne, mais aussi la ramener le plus près possible à son état originel : un espace vert protégé. Parce qu’un parc, c’est un PARC.

Circulation automobile sur la voie Camillien-Houde (novembre 2016)

Heure de pointe matinale : 

Direction ouest : 500 véhicules/heure

Direction est : 440 véhicules/heure

Heure de pointe de fin de journée : 

Direction ouest : 370 véhicules/heure

Direction est : 650 véhicules/heure

Source : Ville de Montréal

Avenir de la voie Camillien-Houde

L’opposition demande une consultation publique

L’opposition à l’hôtel de ville réclame la tenue d’une consultation publique sur l’avenir de la voie Camillien-Houde, estimant qu’une pétition signée par près de 11 200 personnes opposées à l’interdiction de la circulation de transit démontre que la décision ne suscite pas l’adhésion. « L’administration a agi de façon précipitée. Il n’y a pas eu d’étude d’impacts sur les rues avoisinantes. Donnons la parole aux Montréalais, allons à l’Office de consultation publique », a plaidé Lionel Perez, chef intérimaire d’Ensemble Montréal. M. Perez propose de miser sur des « solutions mitoyennes », comme interdire la circulation de transit la fin de semaine seulement ou créer une voie protégée. En point de presse, la mairesse a indiqué que deux consultations ont déjà abordé la question du transit sur le mont Royal. « Nous avons entendu différentes voix, certaines en faveur et certaines contre. J’en retiens que le mont Royal est important pour tous. Mais nous allons de l’avant avec le projet-pilote », a indiqué Valérie Plante.

— Pierre-André Normandin, La Presse

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