’UQAM

Les militants pour un français dégenré font fi des critiques 

Le déluge de critiques envers le guide qui propose aux professeurs de l’UQAM de « dégenrer » leur discours avec des mots comme « contributeurice », « heureuxe » et « nombreuxes » n’ébranle pas ses auteurs, qui disent en avoir distribué 1500 exemplaires.

Le guide conseille aux enseignants de l’établissement de ne pas laisser libre cours à des discussions en classe sur du contenu « controversé » et propose l’utilisation de néologismes non genrés, dont des pronoms comme « ceuzes », « celleux », « iel(s) » ou « ille(s) ».

En entrevue avec La Presse, un porte-parole du groupe a souligné que l’objectif n’était pas d’imposer cette façon de parler ou d’écrire à quiconque, mais plutôt de sensibiliser les professeurs de l’université à ces idées.

« Bien sûr qu’à chaque fois qu’on s’en prend à l’intégrité d’une langue, il va y avoir des réactions très fortes de la part de gens qui ne veulent pas que ça change. Bien sûr qu’on s’y attend », a affirmé « Lucile », qui a répondu au courriel envoyé par La Presse au comité de rédaction du guide, mais n’a pas fourni son nom de famille.

« Après, si les gens ne sont pas contents… ils ne sont pas contents. […] Ils peuvent être aussi énervés qu’ils veulent. »

— Lucile

« Il faut mentionner que ce n’est pas la première fois qu’on s’en prendrait, des insultes dans la gueule », a ajouté Lucile, qui se décrit comme une personne transsexuelle non binaire au doctorat. Lucile dit utiliser parfois le genre neutre pour référer à sa propre personne si le contexte s’y prête. Son courriel suggère d’utiliser le pronom « iel », un néologisme, à son endroit.

« Un cas extrême »

Toute la journée d’hier, des centaines de personnes ont exprimé de vives critiques quant au contenu du Petit guide des enjeux LGBTQIA+ à l’université.

La lexicographe Marie-Éva de Villers, auteure du Multidictionnaire et spécialiste de la féminisation des titres, est plus posée dans ses commentaires. « C’est une proposition des étudiants qui est un cas extrême », a-t-elle réagi en entrevue téléphonique. « Ça paraît un peu poussé. Je ne crois pas que ce soit mis en œuvre, mais bon… C’est un peu pour provoquer, je crois, de la part des étudiants. »

Mme de Villers a rappelé que ce n’est pas la première fois que cette université fait parler d’elle en matière d’adaptation de la langue. « Il faut dire que l’UQAM est à l’avant-garde depuis le début en matière de féminisation. Dans les années 70, c’est eux qui ont vraiment commencé ce mouvement-là. À cette époque, c’étaient les professeurs : ils ont demandé que l’on répète “les chargés et les chargées de cours”. Ils ont été parmi les premiers », a-t-elle souligné. La lexicographe ne croit toutefois pas que l’on regardera les propositions de discours « dégenré » dans 40 ans de la même façon qu’on regarde aujourd’hui la féminisation. À l’époque, « c’étaient des formes déjà existantes », alors qu’« heureuxe » et « ceuzes », par exemple, sont des néologismes, a-t-elle expliqué.

Lucile, porte-parole des auteurs du guide, n’est pas non plus très optimiste quant à l’adoption de la langue « dégenrée » dans la population.

« Personnellement, je suis pragmatique. Je n’ai pas nécessairement besoin que ça devienne un truc à grande échelle. »

— Lucile

« Si ça devient utile à beaucoup de gens, ça ne m’étonnerait pas que ça entre dans les pratiques majoritaires. Il y a 20 ou 30 ans, on parlait très peu des enjeux trans chez les enfants, mais aujourd’hui, comme on voit que ça concerne de plus en plus de gens, ça devient plus normal d’en parler. »

le débat déjà lancé

Le débat se pose toutefois dès maintenant dans certaines classes de l’UQAM. Guillaume Lavallée, professeur de journalisme, a rapporté avoir été confronté plus tôt ce mois-ci à des étudiants qui voulaient utiliser le pronom « ille » dans un article concernant un défilé de mode organisé par des personnes qui ne s’identifient ni à un sexe ni à l’autre.

« Le débat était assez intéressant : qu’est-ce qu’on fait dans un cas comme ça ? Il y avait une école qui voulait expliquer dans le texte ce que c’est, “ille”, a-t-il témoigné. Et moi, comme professeur, j’étais plus ou moins d’accord. […] Je croyais que si on voulait l’utiliser, il fallait le justifier, et là on se rapproche plus d’un éditorial. C’est une prise de position. »

La solution retenue : écarter le néologisme « ille » et contourner le problème avec des formulations comme « l’artiste » ou « les modèles ».

À l’Office québécois de la langue française (OQLF), on refusait hier de commenter les propositions linguistiques du guide distribué à l’UQAM. « Nous, on fait la promotion de l’écriture épicène », a expliqué Jean-Pierre Le Blanc, responsable des communications. Ce mode d’écriture propose de contourner le problème en parlant de « personnes étudiantes » ou de « corps enseignant ». Cette option est aussi abordée dans le guide.

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