Chronique

Jacques Parizeau vaut bien une avenue…

Je pose la question, comme ça, sans que je puisse entendre les millions de réponses qui ne manqueront pas de fuser de partout, parce que, bien sûr, vous êtes des millions à me lire (bruit de toux)…

Savez-vous c’est quoi, Vimy ?

Si vous avez répondu « le nom d’une ville en France », bravo.

Si vous avez répondu « le nom d’un parc à Outremont », je sais où vous habitez, parce que le parc est si petit qu’il n’y a aucune raison que vous le connaissiez à moins d’habiter Outremont.

Si vous avez répondu « le nom d’une bataille de la Première Guerre mondiale où 4000 Canadiens sont morts, 6000 ont été blessés, bataille qui a contribué à fonder une partie de l’idée du Canada moderne », bravo, vous êtes fort probablement un Canadien anglais…

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Il y a donc un parc de Vimy à Outremont, un tout petit parc de rien du tout. Le parc va changer de nom, on le débaptise au profit d’un illustre fils d’Outremont : l’ancien premier ministre Jacques Parizeau.

Vous avez peut-être entendu que cela cause une controverse. Oui, vous me voyez venir : une bonne controverse toponymique comme on les aime…

Les premières salves de désapprobation sont venues du Canada anglais : l’ancien premier ministre ontarien et ancien député libéral fédéral Bob Rae a tweeté que cela était une « insulte pure et simple ».

Réponse d’un souverainiste, toujours sur Twitter, qui incarne un peu le ton des reproches faits à Bob Rae : « Ce n’est pas votre Histoire, Monsieur. Nous, Québécois, sommes fiers de Jacques Parizeau. »

Justement, l’os est précisément là : Vimy, c’est mythique dans l’Histoire du Canada. C’est même un peu là qu’est né le nation building canadien moderne, dans une victoire sanglante des soldats canadiens sur les Allemands, dans le Pas-de-Calais. 

Vimy – ce pays étant ce qu’il est – est bien davantage ancré dans l’Histoire du Canada anglais que dans celle du Québec.

Je ne sais pas si M. Rae a été insulté parce que le parc de Vimy changeait de nom, point. Ou s’il a été insulté parce qu’on rebaptisait ce lieu du nom d’un homme qui a failli entraîner la dislocation du pays de M. Rae, le Canada. Il n’a pas répondu à une demande d’éclaircissements, hier.

Mais je sais qu’au Canada anglais, Vimy est autant un lieu qu’un mythe, un pan important de l’Histoire du Canada, encore célébré aujourd’hui, surtout en ce centenaire de la bataille.

Au Québec ?

Ici, Vimy n’a pas le même écho émotionnel qu’au Canada anglais. Exemple : je connais mieux la bataille par son vocable anglais (Vimy Ridge) que français (crête de Vimy). Sans oublier que les pertes encourues à Vimy ont mené à la conscription, hautement impopulaire au Québec (seulement 9 % des soldats canadiens étaient du Québec, alors 28 % de la population canadienne).

En cela, l’internaute qui a interpellé M. Rae a parfaitement tort : c’est bien davantage de l’Histoire de M. Rae – comme Canadien anglais – qu’il s’agit ici. Vimy est oublié au Québec, célébré ailleurs au Canada.

Bon, « Monsieur » doit bien rire, là-haut : même mort, il est impliqué dans une controverse qui irrite les Anglos, dans le fossé des deux solitudes.

LOL.

***

Jacques Parizeau a été de cette poignée de Québécois qui ont permis au Québec d’entrer dans la modernité, en étant un acteur important de la Révolution tranquille. Juste pour ça, il mérite que sa mémoire soit honorée de façon ostentatoire. Ce n’est pas pour rien que l’édifice de la Caisse de dépôt et placement du Québec porte le nom de Jacques-Parizeau : c’était son idée.

M. Parizeau était un fils d’Outremont. Normal que l’arrondissement souhaite, lui aussi, perpétuer sa mémoire. D’où cette idée de débaptiser le parc de Vimy…

Ce qui est l’équivalent de se mettre le doigt dans un piège à – j’allais dire à homards ! – ours, toponymiquement parlant.

D’abord, avez-vous vu la taille du parc ? Le parc Beaubien, le parc Pratt, voilà des parcs imposants à Outremont. Mais le parc de Vimy est un minuscule bout de gazon, ça ne sied pas à M. Parizeau (ni à la bataille de Vimy, d’ailleurs).

Ensuite, même avec des raisons légitimes, débaptiser des lieux est une entreprise délicate, on n’a qu’à penser à la disparition du nom Claude-Jutra de l’espace public. Qu’ont fait les soldats de la bataille de Vimy pour mériter qu’Outremont les efface de l’espace public ? Je ne vois pas.

Puis-je y aller d’une humble suggestion, pour honorer la mémoire de M. Parizeau à Outremont, même si la décision de biffer Vimy sera probablement entérinée par la Ville de Montréal, le 20 juin ?

L’avenue Van Horne.

William Cornelius Van Horne était un administrateur de chemins de fer américain qui a habité à Montréal, mais dont les projets d’infrastructures ont surtout marqué l’ouest du Canada et Cuba. À sa mort à Montréal en 1915, on l’a transporté par train spécial dans son Illinois natal pour y être enterré. Et comme la mémoire de M. Van Horne est bien honorée ailleurs au pays… By Jove, il se remettra sûrement de voir « son » avenue débaptisée.

Une avenue importante qui traverse Outremont d’est en ouest, une avenue dont on sait forcément le nom quand on est un Montréalais le moindrement éveillé, une avenue qui croise de grandes artères (du Parc, Côte-des-Neiges, Saint-Laurent), il me semble qu’« avenue Jacques-Parizeau », on pourrait s’habituer à ça…

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