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Le marché immobilier est en ébullition dans la région de Montréal. Les surenchères ont doublé depuis un an, selon des données exclusives obtenues par notre chroniqueuse.

Chronique

Se battre pour acheter une maison

Février dernier dans le quartier Rosemont. L’hiver bat son plein. Le marché immobilier aussi. Pas moins de 17 acheteurs ont signé une promesse d’achat pour un petit immeuble à revenus.

« Finalement, ça s’est vendu 170 000 $ au-dessus du prix demandé ! », s’exclame Nathalie Bégin, coprésidente de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec. En 20 ans de carrière, elle n’a jamais vu un marché aussi fou.

« C’est offres multiples par-dessus offres multiples, dit-elle. Dès que quelque chose sort, il y a 10 à 15 personnes en même temps qui veulent avoir la maison. »

Les chiffres le confirment. Le marché immobilier est plus effervescent que jamais dans la métropole. Les surenchères ont carrément doublé, comme le révèlent des statistiques préparées à ma demande par la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ).

Dans la région métropolitaine de Montréal, 14 % des maisons se sont vendues au-dessus du prix demandé au cours des 12 derniers mois terminés en mars, alors que cette proportion n’était que de 7 % un an plus tôt.

Sur l’île de Montréal, la frénésie est encore plus forte. Les surenchères touchent près d’une transaction sur cinq (17 %). Et dans certains quartiers, environ le quart des maisons sont vendues au-dessus du prix demandé. C’est justement le cas de Rosemont (28 %), de l’Ouest-de-l’Île-Sud (24 %) et du Plateau-Mont-Royal (24 %).

Les acheteurs qui surenchérissent versent en moyenne 4,2 % de plus que le prix demandé, ce qui représente un « extra » de 21 781 $. Mais dans le centre de l’île, où les prix sont plus élevés, la surenchère moyenne dépasse 40 000 $.

Même si les surenchères sont essentiellement un phénomène urbain, certains secteurs de la banlieue de Montréal n’y échappent pas, comme Vaudreuil-Dorion (16 %), le Sud-Ouest de la Rive-Sud (15 %), Saint-Hubert (15 %), L’Île-Perrot (14 %), Brossard, Saint-Lambert, le Vieux-Longueuil et Boucherville (13 %).

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Une telle ébullition a de quoi surprendre quand on sait que l’immobilier file un mauvais coton à Toronto et à Vancouver où le nombre de transactions vient de sombrer à un creux de 33 ans.

Que se passe-t-il donc chez nous ?

« La baisse du taux de chômage et la création de ménages [plus de 28 000 par année au Québec, en bonne partie grâce à l’immigration] ont plus que compensé l’effet de la remontée de 100 points de base des taux hypothécaires depuis 18 mois », répond Yanick Desnoyers, directeur, analyse du marché, à la FCIQ.

D’autre part, l’offre est limitée. Le niveau de construction reste relativement faible. Et sur le marché de la revente, le nombre d’inscriptions a fondu de 15 % au dernier trimestre à Montréal. Les maisons à vendre ne représentent que cinq mois de stocks, par rapport à 8-10 mois dans un marché équilibré.

En fait, le marché est coincé dans un cercle vicieux.

« Beaucoup de vendeurs craignent de mettre leur maison à vendre, parce qu’ils ont peur de ne pas en retrouver une autre à leur goût puisqu’il n’y a rien à vendre. Alors ils reportent leur projet. »

— Nathalie Bégin, coprésidente de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec

Conséquence : encore plus de rareté, encore plus de surenchères. Cette pression risque-t-elle de faire sauter la marmite ?

Il n’y a pas de bulle spéculative au Québec, comme celle qu’on a vue aux États-Unis avant la crise du crédit, considère M. Desnoyers. Les prix médians à Montréal restent beaucoup plus bas qu’à Toronto et surtout à Vancouver, où les achats par des millionnaires étrangers ont créé une distorsion entre la valeur des maisons et la capacité de payer des résidants.

C’est d’ailleurs pourquoi l’Ontario et la Colombie-Britannique ont imposé des taxes spéciales pour freiner les acheteurs étrangers, ce qui n’a pas été nécessaire au Québec où leur présence reste limitée.

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Malgré l’escalade des prix au Québec, les ménages ont le même pouvoir d’achat que dans les années 80 ou 90, car la baisse des taux d’intérêt a maintenu leurs mensualités hypothécaires à un niveau raisonnable.

Par contre, il est beaucoup plus ardu de se bâtir une mise de fonds suffisante, ce qui rend la partie difficile aux premiers acheteurs.

Pas étonnant que le marché actuel soit dominé par les acheteurs expérimentés.

« C’est dans les gammes de prix les plus élevées que l’on observe les plus fortes augmentations de transactions. »

— Yanick Desnoyers, directeur, analyse du marché, à la Fédération des chambres immobilières du Québec

Les propriétaires qui se sont déjà enrichis avec l’immobilier se servent du bassin d’épargne accumulé dans leur maison pour en acheter une plus grande et plus chère.

Comme le marché est très serré, certains adoptent des comportements dangereux pour arriver à leurs fins. Par exemple, ils laissent tomber l’étape de l’inspection du bâtiment ou même la garantie légale. « Je ne le conseille pas du tout. Mais quand le client veut la maison, il est prêt à tout », se désole Mme Bégin.

Dans un contexte d’offres multiples, elle suggère plutôt aux acheteurs de mettre l’accent sur l’émotion, en présentant leur offre d’achat avec un beau portrait de leur famille. « Ça peut faire la différence », assure-t-elle.

Lorsqu’il y a beaucoup d’offres sur la table, les acheteurs doivent miser la « totale » en allant au maximum de leurs capacités… sans avoir à manger du « baloney » toute leur vie par la suite. Ils doivent se demander à quel montant ils seraient prêts à la perdre, sans fondre en larmes.

Mais parfois, les enchères montent si haut que la banque exige que l’acheteur hausse sa mise de fonds. « Il y a des banques qui ne vont pas là, dit Mme Bégin. On a même des ventes qui tombent à cause de ça. »

Alors, tout est à recommencer.

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