Grande-Bretagne

Espion, poison et tensions

L’empoisonnement en Grande-Bretagne d’un ancien agent secret d’origine russe tend à nouveau les relations entre Londres et Moscou. 

L’ex-espion russe retrouvé inconscient dimanche avec sa fille sur un banc public d’une ville du sud de la Grande-Bretagne a été volontairement empoisonné avec un agent neurotoxique.

Le chef de la section antiterrorisme de Scotland Yard, Mark Rowley, qui mène l’enquête, a annoncé cette conclusion hier, alimentant du même coup les interrogations sur une possible implication russe dans l’affaire, désormais considérée formellement comme une tentative de meurtre.

La première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, a indiqué que son gouvernement pourrait notamment décider de boycotter « diplomatiquement » la Coupe du monde de football qui se déroulera en Russie l’été prochain, si l’enquête confirme le rôle de Moscou.

Le ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, a prévenu pour sa part que son pays agirait de « façon appropriée et ferme » s’il s’avère que l’État russe est à l’origine de l’attaque.

« Campagne antirusse »

Une porte-parole du ministre des Affaires étrangères de Russie citée par l’Agence France-Presse, Maria Zakharova, a déclaré que ces accusations étaient sans fondement et visaient à alimenter une « campagne antirusse » dans les médias.

L’ex-espion ciblé, Sergueï Skripal, est un ancien colonel du service de renseignement de l’armée russe condamné à 13 ans de prison par la Russie en 2006. Il avait été jugé coupable d’avoir transmis le nom d’espions russes travaillant en Europe aux services de renseignements britanniques.

L’homme de 66 ans s’était établi en Grande-Bretagne après avoir été échangé en 2010 par Moscou avec trois autres prisonniers contre dix espions russes détenus par le FBI.

Il vivait apparemment une vie tranquille jusqu’à dimanche, lorsque son corps inerte a été retrouvé avec celui de sa fille âgée de 33 ans près d’un centre commercial de la ville de Salisbury, où il habitait. Tous deux étaient toujours dans un état critique à l’hôpital, hier.

Le policier qui s’est présenté le premier à l’endroit où se trouvaient les victimes a été apparemment empoisonné lors de l’intervention. M. Rowley a précisé que son état de santé s’était sensiblement détérioré depuis dimanche et qu’il était désormais « très malade ».

Une mise en garde de Moscou ?

Alors que les analyses du produit utilisé pour l’attaque se poursuivaient, les forces de l’ordre ont continué hier d’inspecter les établissements où l’ex-espion et sa fille, en visite de Russie, ont passé du temps avant de tomber malades.

Ils ont lancé un appel à témoins afin de tenter d’éclaircir le cours des évènements, qui rappelle l’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko, survenu à Londres en 2006.

Une enquête publique a conclu que l’assassinat du ressortissant russe, qui collaborait activement avec les services de renseignements britanniques, avait probablement été demandé par le président de Russie Vladimir Poutine.

Yann Breault, spécialiste de la Russie rattaché à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), note que rien ne permet à ce stade de lier Moscou à l’attaque contre Sergueï Skripal et sa fille.

Dans le cas d’Alexandre Litvinenko, le produit utilisé, du polonium, difficile à obtenir et à maîtriser, constituait presque une signature « volontaire » de la part des autorités russes, dit-il.

Les analystes se perdaient en conjectures hier relativement aux motivations possibles d’une telle attaque si elle venait bel et bien de Moscou.

Certains évoquaient un possible effort du président de Russie pour consolider son emprise sur le pouvoir à l’approche des élections dans son pays. D’autres avançaient plutôt qu’il pourrait chercher ainsi à envoyer un message aux ressortissants russes tentés par la collaboration avec les services de renseignement occidentaux, en particulier britanniques.

M. Breault estime que le président de Russie n’a pas besoin d’une attaque de cette nature pour consolider sa position politique avant l’élection, pratiquement jouée d’avance.

L’idée d’une mise en garde envoyée aux agents russes paraît plus plausible, notamment parce que les services de renseignements britanniques cherchent toujours activement à faire des recrues et sont actifs en Russie, dit-il.

« À ce stade, tout ça reste extrêmement hypothétique », répète M. Breault.

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