Consommation de viande

Les traditions doivent changer

Le 3 janvier dernier, Sylvain Charlebois, doyen à l’Université Dalhousie, a pris acte du fait que la consommation de viande est nocive et représente 1) un problème de santé publique ; 2) un problème environnemental ; et 3) un problème éthique. En dépit de ces trois problèmes majeurs, chacun d’eux, à lui seul, impliquant des impacts négatifs majeurs sur la collectivité, M. Charlebois en conclut qu’imposer une taxe sur la viande serait « immoral » au nom des coutumes et des traditions.

Il y a un problème de logique majeur dans cet argument où la conclusion de l’argumentaire ne suit manifestement pas les constats. À ce compte-là, ne devrait-on pas supprimer les taxes sur les cigarettes au nom des mêmes traditions du temps de la belle époque de Mad Men ?

Par souci de concision, laissons de côté les considérations de santé publique et éthiques, déjà largement documentées.

La production de viande est une source majeure d’émissions de méthane, un gaz avec un potentiel de réchauffement climatique environ 75 fois plus élevé sur une période de 20 ans que le dioxyde de carbone émanant de nos voitures. De fait, M. Charlebois ne mentionne pas que l’élevage rejette plus de GES (15 %) que le secteur des transports (14 %), un constat important qui devrait naturellement dicter nos priorités en matière de politiques publiques.

Il semble donc incontournable que si nous voulons vraiment joindre le geste à la parole et enfin effectuer des progrès significatifs vers les cibles de réduction de GES, qu’elles soient planétaires, canadiennes ou québécoises, la consommation de viande doit impérativement faire partie de notre stratégie d’atténuation.

Les résultats d’une recherche effectuée dans le cadre du programme de maîtrise en fiscalité de l’Université de Sherbrooke montrent que les consommateurs réagissent aux variations de prix du bœuf et du porc, ce qui garantit l’efficacité d’une taxe comme un des instruments d’atténuation.

Cette sensibilité est toutefois relativement faible (les habitudes de consommation de viande rouge étant solidement ancrées dans nos sociétés occidentales), ce qui implique que la taxe devrait être assez élevée pour être vraiment efficace et ralentir la consommation de viande. Une telle taxe serait d’autant plus efficace de pair avec la parution prochaine du nouveau Guide alimentaire canadien, qui se basera sur des données scientifiques à jour concernant l’alimentation et devrait encourager la consommation de protéines végétales, et avec des campagnes de sensibilisation du public quant aux impacts environnementaux de la viande.

La consommation de viande n’est pas un problème différent de celui posé par le tabac ou le sucre, deux produits largement taxés par ailleurs (l’un dans 180 pays, l’autre dans 25 juridictions).

Les intérêts collectifs entrent en conflit avec nos petits plaisirs personnels. La taxation, tout comme la sensibilisation et la réglementation, fait partie des outils économiques servant à promouvoir des politiques publiques qui visent un meilleur bien-être collectif et à faire assumer le fardeau du coût social de la consommation de cigarettes, de boissons sucrées, d’essence ou de viande par les utilisateurs.

La viande est un produit alimentaire de base détaxé au Canada. En ce sens, il serait relativement simple d’imposer une taxe sur la viande rouge via la TPS et la TVQ. Cette façon de faire aurait comme impact de faire comprendre aux consommateurs que la viande, quelle que soit sa provenance, est en quelque sorte un produit de luxe et qu’il faut donc payer davantage pour s’en procurer, afin qu'ils assument les externalités de leurs choix alimentaires.

Une exemption pour les producteurs locaux

Cette taxe pourrait aussi ne pas s’appliquer aux produits provenant de petits producteurs locaux, ce qui bénéficierait à l’économie locale, mais encouragerait également une diminution de la pollution liée au transport de nourriture.

Le Danish Council of Ethics, qui se rapporte au Parlement danois, a recommandé de taxer la viande rouge en fonction de la production de GES. Cette recommandation émane d’un rapport de l’organisation publié en 2016 qui conclut que si les pays développés diminuaient leur consommation de viande provenant des ruminants, cela entraînerait des bénéfices majeurs et rapides quant aux changements climatiques.

Perpétuer des traditions et des coutumes au nom de la morale, a fortiori si celles-ci sont nocives pour la collectivité, ne nous apparaît pas un argument particulièrement probant pour ne pas les remettre en question. Surtout quand les faits et nos responsabilités collectives nous mènent dans une tout autre direction ! À ruminer (sans méthane !) en 2018.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.