Au-delà des maux Fondation mères du monde en santé

Pour le bien-être des femmes en Afrique

Au-delà des lits trop durs, du « manger » trop mou et de l’engorgement aux urgences, les hôpitaux et les centres de santé du Québec regorgent d’histoires heureuses, petites ou grandes. Deux fois par mois, La Presse passe une bonne nouvelle, une bonne action ou un dénouement heureux au scalpel. Cette semaine, une équipe de bénévoles québécois à l’assaut des fistules en Afrique.

Le mot est laid. Paronyme de pustule. De fistulaire aussi, hideux poisson édenté en forme de tube. Le mot est laid, mais ses conséquences sont encore plus laides Les fistules obstétricales – une brèche entre le vagin et la vessie ou le rectum qui survient pendant un accouchement difficile – sont quasi inexistantes dans les pays industrialisés.

Or, en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, faute d’avoir eu accès à la césarienne, quelque deux millions de femmes vivent avec une douleur double, physique et morale. Celles qui en souffrent, victimes d’incontinence urinaire ou fécale, subissent l’opprobre du mari, des amis, sinon du village entier. La sexualité entière d’une femme s’efface dans une lésion de quelques centimètres. La voilà toujours raillée, souvent recluse, parfois répudiée.

Un Montréalais d’origine française a décidé d’agir. « Il y a une trentaine d’années, j’étais chirurgien en Afrique pendant mon service militaire et j’ai été confronté au problème de fistules. Ça m’avait toujours turlupiné », explique Jacques Corcos, urologue à l’Hôpital juif de Montréal. En 2011, le spécialiste a mis sur pied une équipe québécoise de médecins, d’infirmiers, de chercheurs et de coordonnateurs bénévoles pour colmater, à hauteur d’hommes et de femmes, un immense gouffre sanitaire et psychologique.

Deux ou trois fois par année, une quinzaine de coopérants rassemblent vivres, scalpels et bistouris puis s’envolent vers la brousse africaine. Pendant six ans, les missions de la fondation Mères du monde en santé ont permis de réparer les fistules d’environ 80 femmes dans des conditions rudimentaires à Boromo, au Burkina Faso. L’intervention chirurgicale est délicate, longue – jusqu’à 10 heures – et complexe. Le fœtus, lui, ne survit presque jamais.

Accompagnement

L’ONG montréalaise est la seule au Canada à lutter en Afrique contre cette réalité, bien peu médiatisée. Elle est surtout l’une des rares au monde à assurer un suivi auprès des femmes traitées. Et à l’avoir documenté. « Notre but, c’était de faire une recherche-action dans une perspective de développement durable », explique Julie Désalliers, anthropologue et médecin de famille obstétricienne.

En compagnie d’autres chercheurs, la jeune femme a mené des heures et des heures d’entrevues qualitatives avec les patientes qui ont convergé avec les moyens du bord vers Boromo pour se faire opérer. Avant l’intervention chirurgicale, puis un an plus tard, dans leur village local. Des histoires d’espoir, de résilience ou d’horreur. 

Selon les résultats de l’étude, les opérations restent bien souvent des pansements fragiles et temporaires. « Les mêmes facteurs de risque qui ont mené à la fistule se répètent », explique la Dre Désalliers. Conséquence ? Les femmes, qui craignent de retomber enceintes, vivent une détresse psychologique dans des régions où la maternité détermine souvent le statut social. 

C’est pourquoi l’équipe de Jacques Corcos mise dorénavant sur la formation des équipes villageoises et la sensibilisation des populations locales. Pour des raisons pécuniaires, de temps ou simplement par manque d’information, des maris refusent encore que leur femme soit transportée dans des centres de santé spécialisés, où les césariennes sont pratiquées en cas d’accouchement difficile.

Fondation ébranlée

En janvier 2016, l’attentat dans la capitale burkinabé qui a tué six coopérants québécois a solidement ébranlé l’organisation du Dr Corcos. Ses membres étaient des habitués de l’hôtel Splendid et du restaurant Cappuccino, ciblés par les djihadistes. Après le conflit au Mali et l’épidémie d’Ebola, les craintes du personnel ont eu raison des missions à Boromo, situé dans une zone vulnérable. Par chance, un organisme local parrainé par Mères du monde en santé, AFORD, assure le suivi dans l’intermède.

Secoués, les bénévoles de la fondation Mères du monde en santé auraient pu ranger leurs instruments et tourner le dos à l’Afrique. En novembre dernier, ils ont plutôt choisi de trimballer à nouveau leurs scalpels et leurs bistouris, cette fois en direction de Ruhengeri, au Rwanda. Là non plus, les fistules n’épargnent pas les femmes. L’organisation y retournera en mai. Pour soigner, oui, mais avant tout pour former et éduquer.

« Il y a un million de fistules en Afrique qui attendent d’être opérées, et on considère qu’il y en a de 50 000 à 100 000 nouvelles par an, explique le Dr Jacques Corcos. C’est vraiment un problème épidémique important, qui nous a conduits à faire autre chose que juste les réparer. Sinon, on ne s’en sortira jamais. »

Qu’est-ce qu’une fistule obstétricale ?

En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, des millions de jeunes femmes accouchent sans que leur bassin soit pleinement développé, en raison de leur jeune âge ou de problèmes de malnutrition. Dans les villages reculés, la majorité des matrones responsables des enfantements ne pratiquent pas de césariennes. Le bébé peut alors rester coincé pendant plusieurs jours, endommageant ainsi les tissus du vagin, de la vessie et du rectum. Résultat ? Une brèche permanente qui mène à l’incontinence, la « fistule obstétricale ».

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