1942-2018

François Macerola s’éteint à 76 ans

François Macerola, un haut gestionnaire d’organismes culturels, dont le Cirque du Soleil, l’ONF et la SODEC, durant pratiquement toute sa carrière, n’est plus. M. Macerola, le compagnon de l’animatrice et comédienne Suzanne Lévesque depuis le début des années 90, a succombé à une longue maladie. Il avait 76 ans.

« Le milieu culturel canadien a perdu en la personne de Monsieur François Macerola un allié de longue date et un leader qui possédait une vision unique et un don inné pour les communications », a déclaré Christa Dickenson, actuelle présidente et directrice générale de Téléfilm Canada, par voie de communiqué.

De nombreux autres témoignages se sont ajoutés hier, durant toute la journée.

« Un homme entier, présent et intelligent. Il n’avait pas peur de prendre des risques », dit le producteur Roger Frappier (Max Films), qui était extrêmement ému lorsque La Presse l’a joint. « Comme commissaire à l’ONF, il m’a donné ma job de producteur et m’a mis au monde, d’une certaine façon », ajoute M. Frappier.

Directeur général de la Cinémathèque québécoise, Marcel Jean, qui était journaliste au quotidien Le Devoir dans les années 80, se souvient aussi d’un batailleur très respectueux des gens assis devant lui. « François était accessible même dans la controverse, ce qui n’était pas le cas de tout le monde, se souvient-il. Pour les dossiers compliqués, il allait au front et essayait de les régler. »

« Le cinéma, comme toute la culture, perd avec lui un grand ami. C’était un passionné qui a fait beaucoup de choses pour la culture. »

— Denise Robert, productrice chez Cinémaginaire

Comme d’autres, Patrick Roy, grand patron des Films Séville, dit de M. Macerola qu’il était un bon vivant. « Il était à la fois intéressé par les contenus, capable de gérer d’importantes institutions et d’explorer aussi le côté politique des choses. »

François Macerola était reconnu tant pour ses talents de négociateur que pour son vaste réseau de contacts. Dans son entourage, certains le surnommaient d’ailleurs « le diplomate ». « Un négociateur caméléon, disait de lui le président du Cirque du Soleil, Daniel Lamarre, dans une entrevue à La Presse en février 2010. Je l’utilisais dans des mandats qui n’avaient rien à voir avec sa job. On disait à la blague que son bureau, c’était la cafétéria. Tout le monde voulait s’asseoir à sa table. »

Né à l’intersection du boulevard Saint-Laurent et de la rue Mozart, dans la Petite Italie, François Macerola fait ses études en philosophie et en droit à l’Université de Montréal. Entré au Barreau en 1970, il pratique le droit durant quelques années avec d’entamer sa carrière dans le milieu culturel, en 1976. Cette année-là, il est nommé directeur du programme français à l’Office national du film (ONF). Jusqu’en 1989, il y gravit les échelons, occupant par la suite les postes de directeur général, commissaire à la cinématographie et président du conseil d’administration.

C’est sous sa gouverne à l’ONF que naît le projet du film Le déclin de l’empire américain de Denys Arcand. Roger Frappier, alors producteur à l’ONF, lui présente le projet en le qualifiant de « film de cul ». Macerola lui répond : « T’as rien de plus facile ? » Mais après quelques jours de réflexion, il donne le feu vert à ce projet qui connaîtra le succès que l’on sait.

Éclaboussé par l’affaire CINAR

En 1989, il quitte l’ONF pour un poste chez SNC-Lavalin, une de ses rares incursions en dehors du domaine culturel. Durant son passage dans cette institution, M. Macerola rencontre Claude Robinson, qui lui parle de son projet Robinson Curiosité. Foi de M. Robinson, François Macerola aurait accepté d’être son producteur, version niée par ce dernier lors du portrait que La Presse lui a consacré en février 2010.

Quelques années plus tard survient l’affaire CINAR/Robinson, durant laquelle M. Macerola est éclaboussé lorsque Claude Robinson découvre un mémo où un employé de Téléfilm, dont Macerola est entre-temps devenu dirigeant, a informé une avocate de CINAR qu’une enquête criminelle était en cours sur une affaire de prête-noms. 

Or, un de ces prête-noms est Thomas Lapierre, fils du président du conseil d’administration de Téléfilm. 

« Si la police avait trouvé quelque chose sur moi, il y aurait eu un blâme, dit M. Macerola dans la même entrevue. Mon nom n’a jamais été mentionné. » 

Toujours chez Lavalin, M. Macerola pilote, avec le vice-président Communications Clément Richard, un projet de Cité du cinéma dans le stationnement de Radio-Canada. Lavalin voulait investir 50 millions dans ce projet qui n’aboutira pas.

En 1991, M. Macerola passe chez Malofilm Distribution, où il occupe le poste de directeur général et vice-président du conseil d’administration. 

En 1995, il revient dans le domaine public alors qu’il est nommé directeur général de Téléfilm Canada, poste qu’il occupera durant trois ans. Sous sa gouverne, Téléfilm refuse de financer le film de Pierre Falardeau, 15 février 1839, consacré aux Patriotes. Or, à l’ONF, François Macerola avait donné son aval à Octobre, autre film de Falardeau. 

Le refus de financer 15 février 1839 avait entraîné une controverse, jusque dans le domaine public, entre Macerola et Falardeau. Plus tard, ils feront la paix au hasard d’une rencontre et de quelques bières, affirmera l’administrateur.

Candidat libéral 

Le 26 octobre 1998, le chef libéral Jean Charest à ses côtés, François Macerola annonce qu’il fait le saut en politique. Il se porte candidat du PLQ dans la circonscription de Vimont en vue des élections du 30 novembre.

D’aucuns le voient ministre de la Culture dans un gouvernement libéral. Or, les troupes du Parti québécois, menées par Lucien Bouchard, sont réélues à la tête du gouvernement du Québec. Dans Vimont, François Macerola est battu par le député sortant et ministre du Tourisme, David Cliche. Ce dernier l’emporte par une marge de 2000 voix.

Or, avec, selon ses dires, l’aide du premier ministre Jean Chrétien, il réintégrera son poste à Téléfilm dès le début de 1999. La ministre du Patrimoine canadien de l’époque, Sheila Copps, en fait l’annonce par communiqué le 4 janvier.

François Macerola restera à Téléfilm jusqu’en 2002. Le 30 avril 2003, il grossit les rangs du Cirque du Soleil à titre de vice-président aux affaires juridiques. Il est chargé de veiller aux contrats que conclut l’institution avec tous ses partenaires mondiaux. Plus tard, il sera producteur exécutif des projets développés en Chine. 

M. Macerola demeurera six ans au Cirque du Soleil. En parallèle, il siégera à quelques conseils d’administration, dont celui du très éphémère Festival international de films de Montréal (FIFM). Mis sur pied dans l’optique de remplacer le FFM de Serge Losique, le FIFM, piloté par l’équipe Spectra, ne connaîtra qu’une seule édition, en 2005.

À la SODEC 

Pour beaucoup, le nom de François Macerola est d’abord associé à celui de la SODEC. Normal, puisqu’il s’agit de son plus récent, et de son dernier, grand mandat à la tête d’une société d’État. 

C’est le 4 novembre 2009 que le gouvernement du Québec annonce sa nomination au poste de président et chef de la direction de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) après le départ, en juin de la même année, de Jean-Guy Chaput, montré du doigt dans un rapport du vérificateur général pour dépenses excessives, et un intérim de quelques mois de Gilles Corbeil. 

Le 31 mars 2010, dans sa toute première intervention publique à titre de dirigeant de la SODEC, il crée l’émoi en déclarant que son organisme doit favoriser le cinéma de tous les styles et tous les genres et non seulement du cinéma d’auteur. 

« Je ne vois pas pourquoi la SODEC serait moins fière d’investir dans De père en flic que dans J’ai tué ma mère de Xavier Dolan. Je ne veux pas que les films rentables soient laissés à Téléfilm. »

— François Macerola en 2010, alors président et chef de la direction de la SODEC

Sa déclaration sème l’inquiétude. Sous le titre « Les habits neufs de la SODEC », un collectif de cinéastes publie une lettre ouverte dans Le Devoir où on rappelle que la SODEC a toujours encouragé la diversité des styles, notamment des films à très petit budget qui n’ont pas reçu l’aide de Téléfilm. Les signataires rappellent aussi que la notion de « films rentables » s’applique uniquement à des cas très exceptionnels, puisqu’un film atteint la rentabilité quand les recettes au box-office équivalent à quatre fois les coûts de production. 

Le jeudi 10 octobre 2013, M. Macerola apprend que son mandat ne sera pas renouvelé par le gouvernement du Parti québécois alors en place. Il quitte officiellement ses fonctions le 29 novembre de la même année. Entre ces deux dates, il remet, le 30 octobre, le rapport du Groupe de travail sur les enjeux du cinéma qui lui avait été commandé. 

À la suite de son départ de la SODEC, M. Macerola est beaucoup moins présent dans la sphère publique. Le 1er octobre 2014, il participe à la conférence de presse de quelques dirigeants du septième art qui forment un nouveau regroupement, l’Association pour le cinéma sur grand écran (ACGE). Il est désigné conseiller stratégique de cet organisme qui est demeuré pratiquement invisible après sa fondation. Outre Suzanne Lévesque, M. Macerola laisse dans le deuil ses enfants Stéphanie et Louis.

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