CARNETS D’ENDORPHINES

Petit guide de survie à l’usage des coureurs lents

« Je ne voudrais offenser personne, mais les gens qui n’arrivent pas à courir leur marathon en bas de quatre heures n’ont pas leur place dans les courses. »

J’ai attrapé cette petite phrase – un modèle de condescendance arrogante, véritable bijou d’orfèvrerie passive-agressive – au début d’un fil de discussion dans un groupe de course sur Facebook.

Ces fameux groupes où on est censé s’entraider, et s’encourager, mais où, le temps d’un missile nord-coréen annihilateur de motivation, on vient de renvoyer à la honte et à l’humiliation tous ceux qui « osent » courir lentement.

Bravo champion. Ce genre d’attitude, c’est précisément ce qui ralentit le groupe.

Quittons tout de suite ce triste site, et passons aux choses sérieuses : vous, mes Bambis d’amour.

Oui, vous, qui êtes considérés comme des coureurs « lents » et qui endurez avec beaucoup de grâce et d’élégance ce genre de commentaires visant à départager les « élus » (eux) de la plèbe (le reste de la gang).

On va régler un truc essentiel : vous avez votre place.

Partout.

Sur la route, les tapis roulants des gym, les trottoirs, les clubs de course, les pistes d’athlétisme, les sentiers, les courses officielles.

Le simple fait de chausser vos runnings, de bouger cette merveille biologique qu’on appelle le corps, de vous confronter à la zone d’inconfort, avec constance et bravoure, fait de vous des Bambis Bioniques.

Demandez à Martin Juneau, cardiologue et auteur du livre Un cœur pour la vie, ce qu’il pense des « coureurs lents ». Je ne voudrais pas présumer de sa réponse, mais je miserais un gros 10 $ sur un pouce levé, en signe d’encouragement à persister.

L’importance de la routine

Parce qu’il est là le point crucial : dans la persistance, la constance, le mode de vie. Un peu de corps en action tous les jours, jusqu’à ce que ça fasse partie de la routine, comme de se brosser les dents, ou d’envoyer de larges sourires aux tatas condescendants.

Courir lentement ne signifie en rien qu’on néglige l’entraînement, qu’on est « mal préparé », ou qu’on ne veut pas « assez fort ». Ça signifie que chacun court à son rythme, avec la vie qui est la sienne, dans le corps et les circonstances qui sont les siens.

Vous n’avez pas besoin de courir plus vite pour avoir votre place au grand soleil des coureurs. Ni d’avoir la physionomie d’un coureur kenyan pour être « un vrai ». Ni même de « performer » pour obtenir une médaille de légitimité.

Vous le faites. Et ce n’est à personne d’autre de décider si c’est assez ou si vous avez envie de pousser la machine.

« Oui, mais c’est blessant de se faire diminuer, me dites-vous, ça me décourage qu’on me fasse sentir comme le dernier/la dernière choisi dans l’équipe de basket de 2e secondaire. »

Maudit secondaire… Un jour, il faudra que quelqu’un se penche sur les rescapés des cours d’éducation physique où seule la performance est valorisée.

En attendant, pas question de laisser des grands dadais souffrant d’insécurité (oui, oui, si monsieur Tata était bien dans sa peau, s’il profitait de ses endorphines à fond, il se ficherait éperdument de la vitesse des autres) miner votre moral, et encore moins votre belle ténacité à l’entraînement.

Je vous laisse sur cette phrase mémorable du grand Steve Prefontaine, coureur aussi étincelant que doué pour les phrases qui trucident : « La plupart des gens participent à une course pour voir qui est le plus rapide. Moi, je participe à une course pour voir qui a le plus de cœur au ventre. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.