Mon clin d’œil STÉPHANE LAPORTE

Plus les sondages sont décevants, plus Jean-François Lisée doit sourire souvent.

Opinion Indemnisation des victimes

Il est temps d’améliorer la LIVAC

Lors du congrès du Parti libéral du Québec dans la Vieille Capitale, les militants ont proposé « un recours civil accéléré pour les victimes d’agressions sexuelles », proposition qui a été retenue. Mais s’agit-il vraiment de la meilleure solution ? Pourquoi ne pas plutôt proposer une amélioration du régime étatique de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (LIVAC) ?

Les victimes de violence sexuelle, femmes ou hommes, peuvent intenter un recours civil contre l’agresseur ou son employeur pour les pertes pécuniaires et non pécuniaires subies à la suite de ces agressions (en plus du procès pénal qui est intenté par l’État). Des victimes d’agressions sexuelles ont même déposé des actions collectives contre des congrégations religieuses dont les membres avaient agressé des enfants sous leur responsabilité. 

Les délais pour intenter ces actions (la prescription) constituent le plus gros obstacle rencontré par ces victimes. Le législateur a porté le délai de 3 à 30 ans. Les tribunaux et le législateur ont reconnu que les victimes ne sont pas toujours en mesure d’intenter le recours à l’intérieur des délais. Ces demanderesses doivent expliquer les raisons de leur impossibilité d’agir : elles ne faisaient pas le lien entre les agressions et leurs problèmes actuels ; elles avaient honte ; elles étaient incapables de faire face à leur agresseur. Le délai de 30 ans commence à courir à partir de leur prise de conscience.

Une fois l’obstacle des délais franchi, elles devront faire la preuve des agressions qui se sont déroulées il y a plusieurs années et souvent sans témoin (pas hors de tout doute raisonnable, mais selon la prépondérance des probabilités), ainsi que la preuve du lien de causalité entre les agressions et leurs problèmes actuels. 

Comment prouver que la victime n’a pas complété son éducation en raison de ces agressions, qu’elle n’a pas pu conserver son emploi en raison de son manque de confiance en elle à la suite des agressions ? Combien vaut une enfance perdue ? 

Ce genre d’action n’est ouvert qu’aux victimes qui peuvent poursuivre un agresseur solvable. La demanderesse doit aussi envisager la possibilité de ne pas être crue. Bref, l’action en responsabilité civile pour compensation des conséquences de la violence sexuelle n’est pas facile.

Évidemment, il y a des avantages à intenter ce genre d’action : si elle gagne, la demanderesse obtient des dommages-intérêts qui pourront servir à payer les coûts des thérapies ou à compléter son éducation. L’action civile a un effet bénéfique pour la victime : elle obtient justice. C’est elle et son avocat qui contrôlent la situation avec le tribunal, contrairement au procès pénal dans lequel l’accusé jouit du droit à une défense pleine et entière.

Cependant, une autre solution se présente à la victime de violence sexuelle : une indemnisation par le régime étatique en vertu de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels. La victime n’a pas à porter plainte à la police, l’agresseur n’a pas à être condamné (mais une plainte à la police et une condamnation aident à faire la preuve de l’acte criminel). Le délai est de deux ans depuis l’acte criminel, mais la plaignante peut expliquer pourquoi elle a été dans l’incapacité de déposer sa demande plus tôt. Une preuve médicale sera exigée. 

Si sa demande est acceptée, elle recevra entre autres de l’aide thérapeutique ainsi qu’une indemnité pour le remplacement de son salaire ou une rente selon la nature de son incapacité. Elle n’a pas à intenter d’action et elle n’a pas à payer de frais juridiques ; elle n’a pas à affronter l’agresseur ou un contre-interrogatoire ; sa vie privée est protégée. Si sa condition se détériore, elle peut faire rouvrir son dossier, ce qui n’est pas possible avec une action civile.

Mais la LIVAC a besoin d’une refonte majeure et non pas de petites modifications au gré des événements. Une nouvelle loi avait été adoptée en 1993, mais elle n’est jamais entrée en vigueur. La protectrice du citoyen a présenté plus de 30 recommandations pour améliorer le régime. Rappelons que la LIVAC indemnise surtout des femmes et des enfants victimes de violence sexuelle dans la sphère privée par des agresseurs qu’elles connaissent. Si la société québécoise indemnise les victimes d’accidents du travail et de la route, qui sont des risques quotidiens vécus par tous et toutes, elle doit aussi indemniser de façon adéquate les victimes de violence sexuelle. Il s’agit d’un risque de la vie quotidienne. C’est une question de justice et d’égalité à l’égard des femmes et des enfants. Les militants du Parti libéral auraient dû proposer une refonte de la LIVAC.

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