Santé
Le projet C

Et si le cancer pouvait être drôle ?

Environ un Canadien sur deux aura un diagnostic de cancer au cours de sa vie. La journaliste Marie-Eve Morasse en a reçu un à 27 ans, puis a connu une récidive au début de 2018. Elle a coûté cher au système de santé, a gardé ses cheveux et a encore des traitements pour prévenir une récidive. Cette série part d’un désir de témoigner qu’il y a aussi beaucoup de vie dans la maladie.

Les quatre amis venaient tout juste de s’installer pour une photo que déjà ils s’amusaient ferme.

« J’étais un peu fatiguée ce matin, mais j’ai pris mon Décadron, tout va très, très bien maintenant », s’est exclamée Marie-Claude Belzile, arrivée en coup de vent en ce lendemain de traitement. Les autres ont ri de bon cœur. Il faut bien s’être surnommé « la bande cancéreuse » pour apprécier des blagues de chimiothérapie.

Les membres de cette bande un peu déjantée tiennent un compte Instagram où ils font des blagues sur le cancer, un sujet encore tabou, disent-ils. Ils espèrent y rassembler des gens dans le même état d’esprit qu’eux. « Il y a peut-être une fille au Saguenay qui est toute seule, qui va tomber là-dessus et se reconnaître », dit Évelyne Morin-Uhl.

Discussion autour de l’humour.

Un diagnostic de cancer, c’est terrible à recevoir. À partir de quel moment avez-vous été capables d’en rire ?

Évelyne Morin-Uhl (36 ans, en traitement pour un cancer du sein) : Le jour même du diagnostic. L’autodérision et l’humour ont toujours fait partie de ma vie, je ris de moi avant que les autres le fassent. Dès le jour où mon oncologue m’a rencontrée dans le bureau, je jokais. J’ai pleuré un mois plus tard. Il faut que tu te demandes : est-ce que ma vie va être juste dans la déprime ? J’ai un enfant, un chum, des amis : comment avoir du fun là-dedans même si c’est épouvantable ?

Judith Lafaille (26 ans, en rémission d’une tumeur au cerveau) : Moi, je n’ai pas ri au départ, j’étais trop médicamentée ! J’étais dans le brouillard, dans l’incompréhension. Plus les mois avançaient, plus je trouvais ça drôle. C’était tellement n’importe quoi, ce que je vivais, que la seule solution pour me réconforter, c’était l’humour.

Anthony Provencher-Lortie (37 ans, en rémission d’un cancer du testicule) : J’ai eu le diagnostic, j’ai été hospitalisé et en fin de journée, je faisais des jokes avec les infirmières. J’ai demandé à mon oncologue si c’était normal d’en rire, il m’a dit que c’est un mécanisme de défense et que je n’étais pas fou ! C’était aussi pour rassurer les gens, à la base, je dis beaucoup de niaiseries !

Marie-Claude Belzile (31 ans, en traitement pour un cancer du sein incurable) : Certaines personnes qui ont le cancer se demandent comment on peut oser rire de quelque chose de grave. Après mon diagnostic, j’ai eu de la chimiothérapie et quand j’étais en traitement, je n’étais pas capable d’en rire. J’étais en déni total. Après, l’humour a été une façon pour moi de dédramatiser ma mastectomie. Rendu là, ma blonde m’appelait « tête de kiwi » et je me disais que si elle était capable d’en rire, je le pouvais aussi.

Qu’est-ce que l’humour vous apporte ?

Anthony : C’est une porte d’entrée à la discussion. Je fais des jokes à propos du fait que j’ai juste une couille, on s’entend que chez les gars, ça shake ! Si les gens voient que je ne suis pas en dépression parce qu’on m’a enlevé un testicule, ils vont peut-être m’en parler.

Marie-Claude : Je suis un stade 4, j’ai de la chimiothérapie à vie. C’est grave, mais avec ma blonde, on rit de la mort. Tes angoisses et tes peurs, t’as pas toujours envie de les ressentir, même si t’as de l’aide psychologique et que ton oncologue est super humain. Je suis à l’hôpital toutes les semaines, c’est mon quotidien, il faut que j’en rie. C’est un besoin, ça me fait du bien.

Évelyne : Ça n’empêche pas qu’on a nos moments de tristesse. Mais mes angoisses et mes peurs, je les vis avec mes proches, ce n’est pas ça qui forge mon identité. Je veux que ceux dans ma gang élargie continuent de m’inviter à des soupers, je veux vivre avec mes amis. L’humour brise beaucoup l’isolement. Ça fait peur, le cancer, en faisant des jokes, on dédramatise.

Judith : Pour moi, ça a vraiment été un moyen d’enlever la douleur chez mes parents, chez ma sœur. J’étais enflée, je n’avais plus de cheveux, j’étais anxieuse à cause des médicaments, je n’étais pas la même personne. L’humour était ma manière de leur montrer que j’étais encore moi.

Évelyne : Tu vois la peur dans les yeux des autres, alors tu les calmes en les faisant rire, et ça te calme en même temps.

Quel genre de situations liées au cancer vous font rire ?

Évelyne : Quand ils apportent les médicaments pour te les montrer avant un traitement, on dirait qu’ils te présentent une bouteille de vin au restaurant !

Marie-Claude : Cette semaine, l’infirmière m’a demandé devant un ami qui m’accompagnait à l’hôpital pour la première fois combien de diarrhées j’avais eues cette semaine. Je me suis dit : « Oh, mon Dieu, ça vient d’arriver… ! » Ce sont des situations loufoques, mais comme c’est dans nos habitudes, on n’y pense plus.

Pouvez-vous imaginer un moment où vous cesseriez de rire du cancer ?

Marie-Claude : Je suis capable d’en prendre en masse, il n’y a pas grand-chose qui me choque. Par contre, j’ai des mauvaises journées, et il y a des jours où je ne veux pas en rire, j’ai besoin d’une reconnaissance de ce que je vis. Mais il faut être proche de moi pour le savoir.

Évelyne : Il faut rire du cancer sans minimiser, et la ligne est mince.

Marie-Claude : Mon cancer est stable, c’est contrôlé, mais si j’approchais plus de la fin de vie, je sais qu’il y aurait beaucoup plus de tristesse et des peurs plus grandes. À 31 ans, t’as pas envie d’arriver en fin de vie. Je sais qu’à ce moment-là, ma blonde et ma famille ne vont pas se permettre de rire de ça. J’aurai une limite d’acceptation quand ce sera une situation souffrante.

Judith : Si j’étais plus souffrante, plus limitée à cause de ma tumeur, je trouverais ça moins drôle. Mettons qu’un jour, on me dit que je ne pourrai plus marcher, ou que je n’aurai plus de motricité, je vais moins en rire, c’est certain. Mais je suis certaine que ce moyen de défense reviendrait, on trouve un autre moyen de passer par-dessus, on continue.

Anthony : Je pense que même avant de mourir, j’en lâcherais une ou deux de temps en temps, même si ça ne serait pas un feu roulant de blagues ! Même quand c’est dramatique, on rit de ces moments-là.

Judith : L’humour, c’est le point de repère quand t’es malade et que tu n’en trouves plus.

* Cette conversation a été éditée à des fins de concision.

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