Le nouveau cri

Inutile de tendre l’oreille, cette Jaguar ne rugit pas. Elle ne miaule pas non plus. Tout au plus émettra-t-elle un petit « woosh » de rien du tout pour signaler la transition de son constructeur à la motorisation tout électrique.

Électrique et stratégique

Comme tant d’autres constructeurs, Jaguar ne considérait pas le principe de la motorisation électrique comme un prolongement naturel de sa culture mécanique. Vouée depuis toujours à la cause unique du moteur à explosion, la firme de Coventry fait aujourd’hui le pari de l’électrique pour des raisons évidentes (fiscalité écologique et normes antipollution). Mais Jaguar profite de la sortie de l’I-Pace pour promouvoir de façon beaucoup plus subtile un autre message : celui de se positionner et de se démarquer face à ses rivales naturelles qui jusqu’ici, en matière de véhicules « zéro émission », promettent beaucoup, mais ne répondent pas ou très peu aux attentes.

Lagos, Portugal — Personne n’aurait parié que Jaguar allait être la première marque de luxe à positionner directement l’un de ses produits face à Tesla. Pourtant, c’est le cas. La marque anglaise, que d’aucuns considéraient comme moribonde il y a 10 ans, est retombée sur ses pattes. 

Les ventes suivent une courbe ascendante, la clientèle se dit satisfaite, mais Jaguar n’a pas les poches aussi pleines que plusieurs de ses concurrents. Ces derniers peuvent (encore) se permettre de rogner sur leurs profits ou consentir des conditions parfois dérisoires pour maintenir leur suprématie.

Dès lors, Jaguar ne peut faire autrement que de trouver de nouveaux moyens de séduction. Et l’électrique en est un. Et finement planifié, de surcroît.

En effet, Jaguar a été, en compagnie de Renault, l’un des premiers constructeurs de notoriété mondiale à s’inscrire au Championnat de Formule E (FE). Et pour promouvoir la sortie de l’I-Pace, une série annexe à la FE et monotype, l’e-TROPHY, a été créée cette année. Jaguar ne pouvait rêver d’un meilleur positionnement. Il reste à voir les retombées maintenant.

Au Canada, l’I-Pace amorcera sa carrière commerciale à l’automne. Le distributeur de la marque évite publiquement de faire état de ses prévisions de vente en raison d’un « potentiel commercial encore difficile à cerner », mais s’empresse toutefois de souligner que l’ensemble de son réseau de concessionnaires diffusera ce modèle. Au catalogue figureront quatre déclinaisons, mais une seule unité de puissance, contrairement à Tesla par exemple. Chez Jaguar, on trouve deux moteurs électriques (un sur chaque essieu) alimentés par une batterie lithium-ion de 90 kWh qui, à elle seule, pèse 603 kg. Celle-ci garantit en principe une autonomie de 386 km. Jaguar précise aussi que la batterie sera garantie sur une période de 8 ans ou 160 000 km. Si l’efficacité de cette dernière devait baisser à moins de 70 % des 90 kWh annoncés au cours de cette période, la batterie sera réparée ou remplacée.

Élaborée sur une architecture inédite, l’I-Pace est composé à 94 % d’aluminium. Ce modèle prend naissance en Autriche.

Avant-garde et tradition

Une Jaguar, même électrique, a le souci de bien paraître. Et ce modèle ne fait pas exception à la règle. Plus compact qu’il ne paraît, l’I-Pace reprend à son compte plusieurs codes esthétiques vus sur d’autres modèles de la marque, le métissage des formes est joliment réussi et ne klaxonne en rien son appartenance à l’univers électrique.

À l’intérieur, pas question non plus de faire de la science-fiction. À l’exception des écrans spécifiques à un véhicule électrique (recharge, autonomie, récupération d’énergie, etc.), lesquels ne sautent malheureusement pas aux yeux, l’I-Pace cache bien son jeu. D’ailleurs, il est même possible de tapisser certains éléments de l’habitacle de bois véritable. Il y a des traditions qui ne se perdent pas. En revanche, le système d’infodivertissement de Jaguar demeure toujours lent et aussi peu convivial à bord de l’I-Pace que sur les autres modèles de la marque.

La position de conduite ne soulève aucune critique et les sièges avant procurent un confort adéquat et un maintien acceptable. À l’arrière, certaines nuances s’appliquent. Le coussin des assises est un peu court et le plancher plutôt haut – étalement des batteries et impératif de préserver une garde au sol adéquate –, de sorte que certaines « grandes jambes » pourraient se retrouver un peu à l’étroit.

L’I-Pace compte deux coffres. Le volume de celui aménagé à l’avant est plutôt restreint (27 L) et taillé en fonction de menus petits objets. À l’arrière, c’est tout bon avec une capacité maximale de 1453 L, une fois les dossiers de la banquette rabattus. En outre, Jaguar a conçu une série d’accessoires (en option) destinés expressément à l’I-Pace, dont un porte-vélos ou un coffre de toit. On regrettera seulement que la marque britannique n’ait pas créé un système d’attache pour le remorquage. Les ingénieurs rencontrés lors de ce lancement international assurent que l’I-Pace peut sans problème tracter une charge de 3500 kg.

Du circuit à la piste en passant par la route

Pour sa première incursion dans le tout-électrique, Jaguar estime avoir pris toutes les précautions nécessaires. Avant d’entrer en production de masse, quelque 200 unités ont été produites pour finaliser la mise au point. Ces véhicules ont couvert 2,4 millions de kilomètres à des températures variant entre -40 °C et 45 °C et sur des terrains parfois inusités pour un modèle électrique… À ce sujet, l’I-Pace est en mesure de traverser un gué de 50 cm de profondeur, d’escalader une pente abrupte (et la redescendre aussi) et de tourner sur un circuit, pour peu que le pilote s’adapte, en sortie de virage surtout, à la réaction instantanée des propulseurs dès qu’il enfonce l’accélérateur. Ça peut surprendre.

L’accélération demeure le point fort de ce modèle (0-100 km/h en moins de 5 secondes), tout comme les reprises. On se gardera, même si c’est une Jaguar, de solliciter la voiture trop vivement et trop souvent pour préserver l’autonomie « théorique » de 386 km. Ou est-ce pour entendre le « woosh », la bande-son diffusée par le dispositif Active Sound Design qui ajoute une sensation sonore à l’accélération ? Qu’importe. L’important à retenir est que, dans le cadre de cet essai, le meilleur résultat obtenu a été de 269 km. Naturellement, il est possible de faire mieux. Pire aussi. Pour faire mieux, on peut compter un peu sur le dispositif de récupération d’énergie des freins.

Sur le plan dynamique, l’I-Pace n’est pas une Jaguar pur jus. Le poids du véhicule a ici une incidence importante sur le comportement.

Ainsi, en dépit d’un centre de gravité peu élevé, l’I-Pace manque de vivacité dans les virages négociés à basse et moyenne vitesse et fait sentir tout son poids lorsqu’elle change – un peu paresseusement – d’appui. Le poids aussi sans doute explique la trop grande souplesse de la suspension qui réagit plutôt mollement sur les ondulations, y compris sur les voies rapides. Les pneumatiques de 22 po ne changeront rien. Privilégiez la monte d’origine, beaucoup moins bruyante.

En dépit d’un déficit d’autonomie et d’une offre limitée (90 kWh uniquement), Jaguar relève le défi lancé par Tesla en proposant un véhicule hautement fonctionnel, moins coûteux (exception faite du Model 3) et plus abouti à certains égards que les modèles de l’américain. Guerre de religion en perspective ?

Les frais d’hébergement liés à ce reportage ont été payés par Jaguar Canada.

Jaguar I-Pace

Fiche technique

L’essentiel

Marque/modèle : Jaguar I-Pace

Fourchette de prix : de 86 500 $ à 103 500 $

Garantie de base : 48 mois/80 000 km

Autonomie électrique : 386 km (donnée du constructeur)

Subvention pour véhicule électrique : 0 $

Chez les concessionnaires : septembre

Technique

Moteur : 2 moteurs électriques aimants permanents

Batterie : lithium-ion 90 kWh

Puissance : 394 ch

Couple : 512 lb-pi

Poids : 2170 kg

Rapport poids/puissance : 5,50 kg/ch

Mode : intégral

Transmission de série : automatique 1 rapport

Transmission optionnelle : aucune

Diamètre de braquage : 11,9 m

Freins (av.-arr.) : disque-disque

Pneus (av.-arr.) : 245/50R20 (modèle essayé)

Temps de recharge : (240 V – borne niveau 2) 12,9 heures (de 0 à 100 %)

Capacité de remorquage : pas recommandé

On aime

Présentation exquise

Aptitudes multiples (tout-terrain, sport)

Autonomie raisonnable

On aime moins

Poids gênant

Technologie appelée à se développer très rapidement

Suspension « pompeuse »

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