Vito Rizzuto, cinq ans après

Mafia et motards de plus en plus amalgamés

Le 23 décembre 2013, le parrain de la mafia Vito Rizzuto mourait de cause naturelle. Cinq ans après la mort de celui qui pourrait être le dernier parrain de la mafia montréalaise, celle-ci est plus faible que jamais et a dû s’amalgamer avec les motards, expliquent les policiers. Un portrait qui aurait été impensable durant les années fastes du parrain.

UN DOSSIER DE DANIEL RENAUD

La mafia plus faible que jamais

En novembre 2015, l’opération policière Magot-Mastiff avait révélé l’existence d’une alliance mafia-motards-gangs qui dirigeait le crime organisé montréalais. Des membres du clan des Siciliens – qui avait encore une certaine influence – formaient une « table de direction » à laquelle ils occupaient des sièges de décideurs au sein de cette alliance.

On retrouvait parmi eux, selon la police, le fils cadet du défunt parrain, Leonardo Rizzuto, le fils de l’ancien numéro 3 du clan, Stefano Sollecito, et Vito Salvaggio, récemment marié.

Mais trois ans plus tard, cette influence s’est encore atténuée et il n’existe plus de table de direction.

Le clan des Siciliens, qui a imposé ses vues à la mafia montréalaise durant une trentaine d’années, serait devenu une cellule mafieuse parmi d’autres qui n’aurait pas le choix, pour opérer, d’avoir l’appui d’un groupe plus fort, les Hells Angels, affirment des sources policières.

Plumes perdues

« La mafia a perdu des plumes. On ne l’a jamais vue aussi affaiblie. Vito est mort, son successeur a été contesté, Magot a frappé les chefs de la mafia et au même moment, les motards sont sortis de prison, se sont étendus et ont pris le contrôle partout dans la province. Tranquillement pas vite, ils ont envahi les platebandes de la mafia. Celle-ci n’a pas la force de résister sans un chef comme Vito Rizzuto », affirme un responsable de la lutte contre le crime organisé qui a requis l’anonymat.

« Cinq ans après la mort de Vito Rizzuto et trois ans après l’opération Magot, la mafia a continué de perdre de la force au profit des Hells Angels. Les membres de la mafia sont contraints de s’associer aux motards pour poursuivre leurs activités. »

— Guy Lapointe, inspecteur de la Sûreté du Québec

Le responsable anonyme dit que « les Italiens sont incapables de se relever » et que « la nouvelle génération n’est pas comme la vieille ». Il croit que la différence entre la mafia et les Hells Angels se trouve dans le fait que ces derniers sont souvent plus âgés et qu’ils ont fait la guerre des motards (1994-2002), et que la relève au sein de la mafia n’a pas cette profondeur.

« Le clan sicilien diminue en influence. Il en a encore un peu au niveau des paris sportifs, mais en matière de contrôle du trafic de stupéfiants et d’importation, des rencontres entre têtes dirigeantes comme à l’époque de Vito Rizzuto, même à son retour à Montréal en 2012, on ne voit plus ça », dit-il.

« Selon l’évaluation de notre renseignement, on donne 95 % du territoire du Québec aux Hells Angels et 5 % à la mafia… par politesse. »

— Un responsable de la lutte contre le crime organisé ayant requis l’anonymat

« La mafia qu’on a connue n’est plus là présentement. Quand Vito Rizzuto était présent, les Italiens avaient le respect et leur place », ajoute-t-il.

Structure linéaire

D’autres sources toutefois pensent que la mafia pourrait retrouver de sa puissance un jour, galvanisée par un chef ferme et rassembleur. Elles croient que la mafia n’est pas morte, qu’elle compte sur des contacts partout dans le monde, qu’elle possède encore son expertise et peut rendre de précieux services, sur le plan de l’importation de drogue notamment et en matière de blanchiment d’argent.

Cinq ans après la mort de Vito Rizzuto, la mafia montréalaise n’a plus une structure pyramidale, avec tout en haut un parrain, un numéro 2 sous lui, un consigliere (conseiller), des capos (capitaines), des lieutenants et ainsi de suite.

Elle a une structure linéaire et est composée de plusieurs cellules ou individus dont certains sont un peu plus importants que d’autres.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Des anges gardiens

Désorganisés, sans véritable chef, ces cellules et individus plus influents dans la mafia actuellement ont dû s’associer à des Hells Angels pour trouver leur compte et obtenir soutien et protection, constatent et interprètent des policiers.

Le clan des Siciliens

Il est toujours, selon la police, dirigé par Stefano Sollecito, fils de l’ancien numéro 3 Rocco Sollecito, assassiné en 2016.

Le nom de Vito Salvaggio, qui prendrait du galon, et celui des Rizzuto seraient aussi toujours associés à cette cellule, par le truchement du fils cadet de l’ancien parrain, Leonardo.

Stefano Sollecito compte sur l’appui du chef de gang Gregory Woolley, ancien membre des Rockers, défunt club-école des Hells Angels.

Woolley vient d’être condamné à huit ans de pénitencier à la suite de son arrestation dans le projet Magot-Mastiff et son influence pourrait s’en trouver diminuée, croient des sources policières.

Le clan dit des Calabrais

Ce clan est depuis longtemps désigné ainsi par les policiers même si certains de ses membres n’étaient pas originaires de cette région de l’Italie. Autrefois associés aux Cotroni et aux Violi, ses membres, tels Antonio Vanelli et Antonio Mucci, se sont ralliés aux Siciliens à leur arrivée au pouvoir au tournant des années 80.

Vanelli était présent au mariage du membre des Hells Angels Martin Robert, célébré dans un somptueux hôtel du centre-ville de Montréal le 1er décembre dernier. Vanelli et Mucci sont très proches de Salvatore Brunetti, autrefois lié à la mafia, mais maintenant membre en règle des Hells Angels de Montréal.

Antonio Pietrantonio

Autrefois lieutenant très en vue au sein du clan des Siciliens, Antonio Pietrantonio a essuyé leurs foudres lorsqu’il s’est rallié à un autre clan en 2010. Victime d’une tentative de meurtre l’année suivante, il a ensuite pratiquement disparu de la carte, mais serait maintenant un peu plus présent, selon la police.

Pietrantonio, qui était lui aussi l’un des convives au mariage de Martin Robert, serait appuyé par ce dernier de même que par un autre membre influent des Hells Angels de Montréal, Stéphane Plouffe. Ce dernier a d’ailleurs joué le rôle de célébrant aux noces de Robert et des policiers croient que des individus présents à cette célébration pourraient devenir les futurs chefs du crime organisé montréalais.

Marco Pizzi

Cette étoile montante de la mafia montréalaise qui contrôlerait notamment le territoire de Rivière-des-Prairies aurait toujours des liens avec le clan des Siciliens tout en étant autonome.

Pizzi aurait également été observé en compagnie de membres des Hells Angels par la police ces derniers mois.

Giuseppe Focarazzo

En voilà un autre que la police considère comme une étoile montante du crime organisé – même s’il n’a aucun antécédent criminel – et qui était présent au mariage du membre des Hells Angels Martin Robert. Focarazzo, alias Gator, possède un café à quelques portes d’un autre établissement considéré par la police comme un quartier général de la mafia. Il était présent aux funérailles du grand ami de Vito Rizzuto, Vincenzo Spagnolo, tué en octobre 2016.

Mais si des sources policières l’associent à la mafia, d’autres croient plutôt qu’il est lié aux motards et qu’il a plus d’affinités avec les Hells Angels. Certaines informations veulent même qu’il ait hérité de l’ancien territoire du membre retraité des Hells Angels Michel Smith, alias L’Animal, au nord de Montréal.

Gianpietro Tiberio

Gianpietro Tiberio était autrefois considéré par la police comme lié au clan des Siciliens, mais durant l’enquête Magot, les policiers ont constaté sur l’écoute que des fissures étaient apparues entre lui et les successeurs du défunt parrain Vito Rizzuto. Depuis l’assassinat de l’un de ses proches, en plein parc, en août 2017, Tiberio, qui a déjà dirigé une entreprise de remorquage aux méthodes dénoncées, se ferait plus discret.

Gianpietro Tiberio, qui semble avoir la faculté de se sortir de situations tendues, serait appuyé par le membre des Hells Angels Salvatore Cazzetta et par un autre membre influent du groupe de motards en Ontario.

Liborio Cuntrera et ses alliés

Liborio Cuntrera est le fils d’Agostino Cuntrera, ancien capitaine du clan Rizzuto assassiné en 2010. Le quartier général d’Agostino Cuntrera, surnommé le Seigneur de Saint-Léonard, était le café Vanessa, qui serait maintenant contrôlé par une autre famille très proche des Cuntrera.

Durant l’enquête Magot-Mastiff, les policiers ont observé, dans un populaire bar de danseuses, des membres de cette autre famille en compagnie du membre respecté des Hells Angels de Montréal Salvatore Cazzetta. Ce dernier a également été vu au café Vanessa, sur le boulevard Robert, dans Saint-Léonard.

Les frères Scoppa

On entend moins parler des frères Andrea et Salvatore Scoppa depuis que le premier a bénéficié d’un arrêt du processus judiciaire dans une affaire de possession de 100 kg de cocaïne plus tôt cette année et que le second a fait l’objet d’une tentative de meurtre en février 2017. La vie des frères Scoppa, dont l’amour fraternel est périodiquement remis en question par nos sources policières, serait actuellement menacée.

Historiquement plutôt indépendants, les Scoppa ont toujours eu de bonnes relations avec Vito Rizzuto, mais on ne peut en dire autant de ses successeurs. La relation entre Andrea Scoppa et les Hells Angels serait bonne malgré un conflit ponctuel avec l’un d’eux durant l’enquête Colisée au début des années 2000.

Vittorio Mirarchi

Le dauphin du caïd Raynald Desjardins se fait très discret depuis qu’il a terminé sa peine pour avoir comploté, avec d’autres, le meurtre de l’aspirant parrain Salvatore Montagna, en 2011.

Mirarchi serait un partisan des vieilles traditions et sa garde rapprochée est considérée comme particulièrement loyale.

Celui qui a été son mentor, Raynald Desjardins, a des liens depuis longtemps avec les Hells Angels, mais pour le moment, la police a du mal à établir la relation entre Mirarchi et les motards. Desjardins purge toujours sa peine pour avoir comploté le meurtre de Montagna.

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