Opinion fillettes voilées

Briser la loi du silence

En ce début d’année scolaire, alors que les discussions s’étirent autour du projet de loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État, la réalité de l’intégrisme religieux nous rattrape dans les écoles du Québec. Cette année, plusieurs petites filles sont revenues voilées à l’école de mes enfants, dont une petite fille de 7 ans ! Certaines mamans me font part de leur malaise.

« Ma fille ne cesse depuis trois jours de me demander pourquoi la plupart des éducatrices portent un voile et pourquoi cette année deux fillettes sont voilées aussi, elles ne l’étaient pas l’année dernière. Ma fille pose plein de questions et j’ai vraiment du mal à répondre, cela commence à prendre beaucoup de place à l’école. »

Il y a en effet lieu de s’interroger ! Ce voile islamique n’est pas juste un vêtement, il conditionne l’enfant à se conformer à des dogmes religieux qui lui sont imposés. 

Il renvoie l’idée choquante que le corps de la petite fille serait objet de séduction qu’il faudrait cacher du regard des garçons, alors qu’eux ne sont soumis à aucune contrainte. Il stigmatise les petites musulmanes dans la cour d’école et constitue une barrière à leur interaction avec les autres enfants. Il entrave leurs mouvements et les empêche de participer pleinement aux activités physiques, sans compter l’inconfort qu’il procure dans des classes souvent surchauffées. Comment peut-on plaider le libre choix dans le cas de si jeunes enfants ?

Cette pratique de voiler les petites filles n’est pourtant ni une prescription coranique, ni l’héritage de traditions ancestrales qu’il faudrait préserver. Dans la plupart des pays arabes, il a fait son apparition récemment avec la montée de l’intégrisme islamiste. Des spécialistes de l’islam, dont Ghaleb et Soheib Bencheikh, n’hésitent pas à parler de maltraitance de petites filles. La Tunisie, pays dont la religion est l’islam, a même interdit en 2015 le voile à l’école primaire pour la raison qu’il va à l’encontre des droits des enfants. Un sondage mené alors indique que 75 % des Tunisiens étaient favorables à l’interdiction.

Pourtant, en raison d’une interprétation pour le moins très large de la liberté religieuse, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse s’est prononcée deux fois (en 1995 et en 2005) à l’encontre de l’interdiction du voile islamique pour des élèves. Depuis, le droit des parents d’imposer le voile à leurs fillettes dès le primaire ne fait l’objet d’aucune remise en question, ni au Québec ni au Canada. Les chartes protégeraient-elles la liberté religieuse des parents au détriment de l’intégrité physique et de la liberté de conscience des enfants ?

Le respect de la liberté religieuse ne devrait pourtant pas dégrever l’État de ses obligations de respecter son plan d’action gouvernemental sur l’égalité des sexes (MELS, 2013-2014) prônant, entre autre, « la promotion d’une sexualité saine, responsable et égalitaire auprès des jeunes ». Elle ne devrait pas non plus le dispenser de respecter la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) entérinée en 1982 par le Canada, ni les traités internationaux sur le droit des enfants. Selon l’ex-juge à la Cour suprême, Claire L’Heureux Dubé, un droit fondamental ne peut être raisonnable s’il n’est pas compatible avec la notion d’égalité.

L’éducation à la liberté

Contrairement à ce qu’affirmait Philippe Couillard en 2015, l’intégrisme est rarement un choix personnel. Il est, le plus souvent, le résultat d’une pression sociale et d’un endoctrinement à long terme qui anéantit toute capacité de penser par soi-même. Le gouvernement a le devoir de protéger la liberté des enfants en leur assurant une éducation laïque, exempte de pression religieuse ou prosélytisme. Or, il y a loin de la coupe aux lèvres ! Comment s’étonner de la recrudescence des petites filles portant le voile à l’école quand le cours Éthique et Culture Religieuse (ECR) et les manuels scolaires transmettent l’idée qu’il serait un signe de reconnaissance de la bonne musulmane ? Comment s’étonner lorsque, année après année, le nombre d’enseignantes et d’éducatrices voilées ne cesse d’augmenter dans les CPE et les écoles de la région métropolitaine de Montréal ? 

Plutôt que de protéger les enfants contre l’intégrisme, l’école contribue tout au contraire à en faire la promotion et à l’implanter durablement au Québec.

Combien de temps cette loi du silence face à ces petites filles abandonnées à elles-mêmes va-t-elle durer ? Bien des parents sont déconcertés par ce laisser-faire des instances éducatives. Aurons-nous seulement le droit d’exprimer de l’inquiétude sans se retrouver cloués au banc des accusés pour « islamophobie » ? Peut-on espérer que des mesures soient prises pour s’assurer d’un environnement éducatif exempt de manifestations identitaires religieuses ? Seule une école laïque est en mesure de remplir sa fonction d’intégration sociale des enfants de toutes origines, indépendamment de leur culture ou de leur religion.

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