Chronique

De quoi méditer

Personne n’a rapporté avoir entendu des « ommmmmm » retentissants aux abords des salles de réunion ou des bureaux de direction des grandes entreprises montréalaises récemment. Et si vous cherchez une collègue le midi, il y a encore une forte probabilité qu’elle soit restée scotchée à son bureau avec un sandwich devant son ordinateur ou partie jogger, plutôt qu’en train de faire très paisiblement, silencieusement, les yeux fermés, de la méditation.

Mais les choses changent. Et tout comme la course, justement, a gagné en popularité de façon marquée ces 10 dernières années, la méditation fait elle aussi son chemin dans la vie en général et dans le monde des affaires en particulier.

On ne compte plus les chefs d’entreprise, de Rupert Murdoch à Oprah Winfrey en passant par Arianna Huffington, qui sont fiers de la pratiquer. Quand on vit dans un monde sous haute tension, une telle quête de nouveaux outils de gestion de stress est éminemment compréhensible.

En fait, selon Deepak Chopra, le grand maître de la méditation et de la médecine douce aux États-Unis et auteur de best-sellers en série touchant autant la santé que le succès, les entreprises devraient rendre sa pratique simple et accessible. « Ce serait vraiment une bonne idée », explique-t-il en entrevue téléphonique, alors qu’il prépare sa venue à Montréal, dimanche, pour le Sommet de l’innovation, une grande conférence célébrant les 100 ans de la théorie de la relativité d’Einstein.

« On ne peut évidemment pousser personne à faire de la méditation. Mais je crois que le zeitgeist est clairement rendu là. »

— Deepak Chopra

Après les cours de yoga, la machine à cappuccino à l’étage et le libre accès au baby-foot, vive les salles vides et le temps libre consacré à ne plus penser à rien.

À 70 ans, le médecin défroqué qui a fait fortune en invitant la spiritualité calmante et énergisante dans nos vies s’apprête à se retirer de l’enseignement direct pour passer plutôt aux cours en ligne, mais il fait encore la classe dans deux grandes écoles de gestion, celle de l’Université Columbia à New York et l’école Kellogg de l’Université Northwestern à Chicago. Là, il transmet grosso modo des approches qu’on pourrait qualifier de philosophie ou de spiritualité des affaires, ou encore de créativité entrepreneuriale branchée sur une conscience personnelle profonde permettant de développer des objectifs allant bien au-delà du succès financier.

Mais l’auteur à succès, lui, ne se voit pas comme un homme d’affaires, même s’il enseigne à de futurs gestionnaires et entrepreneurs et même s’il a fondé une organisation employant aujourd’hui 125 personnes, le Chopra Center, à Carlsbad, près de San Diego, où l’on vend autant du coaching de vie que des vidéos de yoga, disques de méditation, livres, chandelles, thés « détoxifiants » et tutti quanti.

« Oui, j’ai fondé ça, mais je ne m’occupe pas du tout de la gestion », confie-t-il. Sa pensée est dans le contenu de ce qui est offert au centre, et son esprit est ailleurs.

Chopra a été vertement critiqué par certains membres de la communauté scientifique qui trouvent ses théories sur le contrôle de l’esprit sur la santé et le vieillissement plus ésotériques qu’autre chose, mais Chopra s’en préoccupe peu. Et ses propos sur les bienfaits de la méditation sur le bien-être sont de plus en plus appuyés par la recherche. Donc, si on parle de méditation simple et que cela fait de nous de meilleures personnes, plus aptes à nous gérer nous-mêmes et à veiller sur les autres, n’est-ce pas ce qui compte ?

Quand on la pratique, dit-il, « on est plus conscient, on a plus de compassion, d’empathie, de sérénité, on est plus paisible. Ça améliore tous ces aspects de nos comportements et attitudes ».

Facile d’imaginer que si Donald Trump ou Kim Jong-un étaient plus zen, le monde se porterait un peu mieux. Idem pour tous ceux qui prennent des décisions d’affaires inefficacement égoïstes, pas terribles pour les autres et la planète…

D’ailleurs, Chopra a fondé en 2015 avec un milliardaire de la finance, Paul Tudor Jones – à qui il a enseigné la méditation –, un organisme qui s’appelle Just Capital et qui évalue les entreprises non seulement selon leurs caractéristiques éthiques, mais aussi leur générosité, leur humanité, leur sens de la justice sociale. La méditation aurait-elle mis au moins le cœur de cet homme d’affaires à la bonne place ?

Pendant les 20 minutes où j’ai discuté avec M. Chopra, les événements politiques de l’heure sont revenus plusieurs fois sur le tapis. « Êtes-vous inquiet ? », lui ai-je demandé, alors que les Nord-Coréens faisaient leur terrifiante esbroufe nucléaire et que l’Amérique essayait de se remettre des événements de Charlottesville. « Non, je ne m’inquiète jamais, dit-il. L’inquiétude participe au mélodrame dans lequel nous vivons. Ça ajoute à la turbulence. »

Deepak reste zen, nous invite à faire de même, et croit qu’au lieu de se ronger les ongles, on devrait plutôt chercher des solutions créatives aux défis qui se présentent. Et pour cela, il nous invite notamment à penser à de nouvelles approches où différentes disciplines se conjuguent et se complètent, histoire de sortir des ornières qui nous limitent.

« Je suis fasciné par la créativité », dit le maître de la méditation. Ce qui lui permet d’exister, de se développer, de s’améliorer, d’aller plus loin. C’est pourquoi, dit-il, il s’est toujours intéressé à l’œuvre d’Einstein, un cerveau d’une immense créativité qui a su s’en servir pour révolutionner la science. Et aussi pour réfléchir sur le sens de l’existence, une question qui demeure quand même d’actualité, entre les énormités trumpiennes, les difficultés suédoises de Bombardier et les chances du Canadien, cette année, de gagner la Coupe Stanley.

Faisait-il de la méditation ?

À Wall Street, en tout cas, assure Chopra, ils en font de plus en plus.

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