NOM DE FAMILLE

Anne Holton ne sera pas Mme Kaine, même si son mari devient vice-président

Qui est Anne Holton ? Vous n’en avez probablement aucune idée. C’est la femme de Tim Kaine, colistier d’Hillary Clinton. Bien que mariée avec lui depuis plus de 30 ans et mère de ses trois enfants, elle ne s’appelle pas Mme Kaine.

Si les démocrates gagnent l’élection présidentielle américaine du 8 novembre, elle sera la première femme de vice-président ou de président des États-Unis à garder son nom de naissance. À l’exception particulière d’Eleanor Roosevelt, la femme du président Franklin Delano Roosevelt, née Roosevelt…

« En politique, qu’une femme porte son nom à elle est extrêmement rare, note Donald Cuccioletta, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Même dans la société américaine, ce n’est pas un courant majoritaire. C’est un autre plafond de verre qui va casser. »

Déjà, Michelle Obama est devenue la première première dame afro-américaine de l’histoire, tandis que Jill Biden est la première épouse de vice-président à occuper un emploi rémunéré pemanent, a noté récemment The Washington Post. Mais elles l’ont fait sous le nom de leur mari.

DE 80 À 85 % DES AMÉRICAINES ADOPTENT LE NOM DE LEUR MARI

« Aux États-Unis, ce n’est pas commun pour les femmes de garder leur nom de naissance après leur mariage, et ce l’était probablement encore moins quand Anne Holton s’est mariée, confirme Deborah J. Anthony, professeure associée de droit à la University of Illinois, à Springfield. Seul un petit pourcentage (estimé à 7 à 10 % des femmes) de femmes n’apportent aucun changement à leur nom en se mariant. » Environ de 80 à 85 % des Américaines prennent carrément le nom de leur tendre moitié. Les autres utilisent les deux noms, ou gardent leur nom de naissance au travail et utilisent celui de femme mariée ailleurs.

Depuis 1981, le Québec ne permet pas aux femmes de prendre le nom de leur mari. Cela n’empêche pas l’épouse du premier ministre canadien Justin Trudeau d’être présentée comme Sophie Grégoire-Trudeau sur le site internet du Parti libéral du Canada. Un usage social, pas légal, du célèbre patronyme de son mari.

Les Américaines ont davantage tendance à garder leur nom si, lors des noces, elles ont un diplôme d’études supérieures, une carrière établie, un âge plus avancé, des enfants d’unions précédentes, etc.

« Toutefois, même parmi les femmes titulaires d’un doctorat, seule une minorité garde son nom (environ une sur trois) », précise Mme Anthony.

ANNE HOLTON, AVOCATE ET JUGE

Fille d’un gouverneur de Virginie, Linwood Holton, Anne Holton est avocate et juge, et elle a rencontré son mari à l’Université Harvard. Elle était ministre de l’Éducation (Secretary of Education) de Virginie jusqu’à ce que Tim Kaine soit choisi comme colistier, en juillet.

« Le fait qu’elle garde son nom est significatif », commente Karine Prémont, professeure adjointe à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

« Ça démontre une volonté de dire qu’Hillary Clinton n’est pas une aberration de la nature. Que les femmes prennent leur place, qu’elles sont actives, capables d’avoir des carrières indépendamment de leur mari. »

— Karine Prémont, professeure adjointe à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke

Même si Hillary Clinton, qui avait gardé son nom (Rodham) en épousant Bill en 1975, a ensuite cédé, se présentant successivement comme Hillary Rodham Clinton, puis Clinton tout court. Fait amusant, Ivanka Trump – la fille du candidat républicain à la Maison-Blanche, Donald Trump –, a quant à elle gardé son nom après son mariage, en 2009.

IMPACT SUR LA CAMPAGNE ?

Le nom d’Anne Holton pourrait-il nuire à la campagne démocrate ? « Je ne pense pas que ça ait un impact, répond Mme Anthony. En partie parce que le candidat à la vice-présidence et son épouse ou époux sont moins scrutés et critiqués à propos de détails que les candidats à la présidence. Bien qu’il y ait encore des opinions négatives envers les femmes qui gardent leur nom de naissance, je crois aussi que ça devient de plus en plus acceptable. Ce n’est plus nécessairement considéré comme une tache sur la légitimité d’un mariage. »

Il reste que le site internet officiel du sénateur Tim Kaine présente sa femme comme étant simplement… « Anne ». Sans nom de famille. Habile façon d’éviter la controverse.

« Ça prouve que les femmes ont encore beaucoup de chemin à faire aux États-Unis, commente M. Cuccioletta. Ce n’est pas parce que Mme Clinton se présente à la présidence que tout est réglé, au contraire. Surtout qu’on entre dans une vague d’ultraconservatisme avec les deux candidats, selon mon analyse. Tout ce qui peut faire avancer la cause de l’égalité hommes-femmes, comme porter son propre nom, devient important. »

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