OPINION ISABELLE PICARD

JOURNÉE NATIONALE DES PEUPLES AUTOCHTONES
Avec vous

Le 21 juin, date du solstice d’été, se veut la Journée nationale des peuples autochtones telle que l’a décrétée le gouvernement fédéral en 1996.

Déjà en 1982, la Fraternité des Indiens du Canada (maintenant l’Assemblée des Premières Nations) demandait l’établissement d’un tel jour, sans succès. Il aura fallu attendre 14 ans, alors que la Commission royale sur les peuples autochtones faisait de l’adoption d’une telle journée une de ses recommandations, pour qu’elle voie le jour.

Mais qui sont les peuples autochtones au juste ? La réponse officielle énoncerait que la Constitution canadienne reconnaît trois groupes distincts : les Inuits, les Indiens (puisque c’est inscrit ainsi, allons-y…) et le peuple métis (Louis Riel, ça vous dit quelque chose ?).

Mais chaque fois que je réponds ça, j’ai un pincement au cœur. Encore une fois, c’est la Couronne qui décide qui est autochtone et qui ne l’est pas. En effet, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas aux bandes de valider qui est membre de leur communauté ou pas. C’est le ministère des Affaires autochtones et du Nord qui tranche. Décolonisation, on repassera… Bref, je m’éloigne, l’heure est à la fête, non ?

Si certains célèbrent la fierté d’être autochtone en cette journée nationale, un peu comme les Québécois le font à la Saint-Jean-Baptiste, pour d’autres, c’est le moment du bilan annuel. C’est mon cas.

Chaque année à cette date, j’analyse les avancées et les reculs que l’année a amenés, je réfléchis aux relations que nous avons avec les gouvernements en place, avec les Québécois et les Canadiens.

Des déceptions

L’année 2017-2018 a été marquée par bien des beaux mots, de beaux espoirs, mais aussi de grandes déceptions qui fouettent l’âme. Les deux commissions mises en place, respectivement par les gouvernements fédéral et provincial, à la suite des demandes répétées de différents leaders autochtones, soit l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ainsi que la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, battent leur plein. 

Justin a fait un discours marquant et porteur d’espoir à l’ONU dans lequel il dénonçait la « grande faillite » du Canada vis-à-vis les autochtones, pendant lequel je fredonnais « paroles, paroles », en espérant que cette fois soit la bonne. Puis il y eut le verdict de l’affaire Colten Boushie qui ébranla une fois de plus la confiance des Premiers Peuples envers le système de justice actuel.

Dernièrement, le gouvernement du Canada faisait l’acquisition de l’oléoduc Trans Mountain, projet grandement dénoncé par plusieurs Premières Nations au Canada, montrant son vrai visage aux yeux de plusieurs. Ensuite, il y a à peine un mois, le projet de loi C-262, lancé par le député Roméo Saganash, visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, était adopté en troisième lecture à la Chambre des communes. Un pas de géant certainement digne de mention.

Puis, il y a la catégorie des petits progrès, celle dont on parle peu, mais qui, quand on les additionne, produisent leur lot de changements positifs.

D’abord, les initiatives issues des médias pour donner une voix aux autochtones ont été nombreuses cette année. Radio-Canada embauchait, un peu partout au Québec, des stagiaires en journalisme tous issus des Premiers Peuples, renforçant ainsi sa section Espaces autochtones et ouvrant la porte à la catégorie des oubliés.

La Presse+ ouvrait la porte à une collaboratrice autochtone dans sa section Débats, une première pour un grand quotidien québécois si je ne m’abuse. Natasha Kanapé Fontaine faisait une entrée fracassante dans la série Unité 9 sous les traits d’une Eyota Standing Bear bouleversante. On voyait les Samian, Stanley Vollant, Michèle Audette, Mélissa Mollen Dupuis et d’autres encore sur les écrans et dans les émissions à grande écoute. La Ville de Montréal nommait une commissaire aux Affaires autochtones, une première. Plusieurs organisations créaient des programmes pour les autochtones avec des autochtones, s’intéressaient à la question, nous regardaient droit dans les yeux. Nous passions de l’invisible au visible, de l’ombre à la lumière et, surtout, on écoutait ce qu’on avait à dire.

Cette place, elle a été faite par des Québécois et des Canadiens qui se sont sentis concernés et qui ont voulu participer au mouvement, à la hauteur de ce qui leur était possible de faire. Il est là, le grand changement.

Jamais un tel nombre d’organisations publiques, parapubliques ou privées n’ont autant requis les services de spécialistes des Premiers Peuples pour la formation de leur personnel sur le sujet autochtone.

Les conférences et autres activités de sensibilisation offertes se sont également multipliées. C’est cette catégorie qui remporte la palme sans aucun doute cette année.

Les changements dans les communautés sont plus difficiles à mesurer. D’abord parce qu’il y a 55 communautés autochtones au Québec, chacune avec des enjeux, des besoins et des réalités différents. Ensuite parce que changer les choses prend du temps, surtout peut-être en communauté. Mais on avance aussi et mieux, avec vous.

Aujourd’hui, pour la première fois depuis des décennies, il nous est enfin permis de rêver, à tout, à n’importe quoi. Aussi parce que vous êtes là. Et croyez-moi, ça fait drôlement de bien.

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