Chronique

La machine à remonter dans le temps du fisc

Ce n’est pas parce que la saison des impôts est terminée que vous pouvez dormir en paix. Oh que non ! Conservez précieusement vos documents, car le fisc peut revenir vous hanter longtemps, même s’il vous a déjà envoyé un remboursement d’impôt.

Bon an, mal an, l’Agence du revenu du Canada examine plus de 3,7 millions de déclarations, soit 13 % du total. Plus de la moitié font ensuite l’objet d’un redressement. Du côté de Revenu Québec, jusqu’à 8 % des particuliers reçoivent un avis de cotisation corrigé, soit plus d’un demi-million de contribuables.

Que le fisc scrute les déclarations pour y dénicher les erreurs va de soi. Mais quand il attend des années avant d’agir, je trouve ça plutôt mesquin, car les contribuables se retrouvent avec une montagne de pénalités et d’intérêts alors qu’ils ne savaient même pas qu’ils avaient quelque chose à se reprocher.

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Je ne veux pas lancer une campagne de peur, mais dernièrement, j’ai vu un particulier se faire réclamer la « bagatelle » de 10 000 $ pour une petite cotisation excédentaire à son REER pourtant réglée il y a plus de 10 ans. Par chance, l’investisseur a pu retrouver ses relevés de compte de l’époque pour montrer patte blanche. Mais qui peut en faire autant ? Et qui a envie de payer un fiscaliste pour se défendre ?

Récemment, j’ai aussi parlé à un ancien homme d’affaires qui s’est fait demander des documents neuf ans après la vente de son entreprise. Pendant tout ce temps, il n’avait jamais entendu parler du fisc. Pas un mot, rien, niet, nada !

Puis tout à coup, il reçoit une lettre cavalière exigeant des informations à propos d’une somme exigible de 50 000 $ sortie de nulle part. Et le fisc ne se gêne pas pour exiger une réponse dans les 30 jours, faute de quoi il pourrait imposer une amende allant jusqu’à 10 000 $.

Heureusement, tout est rentré dans l’ordre, car le retraité est à son affaire. « Je peux vous dire dans quel restaurant j’ai mangé depuis 2008 et avec qui », se félicite-t-il. Il a tous ses relevés de cartes de crédit depuis sept ans, ainsi que son agenda électronique et ses déclarations de revenus depuis 14 ans.

Ce n’est pas de trop ! Car le fisc a la mémoire de plus en plus longue. Certains fiscalistes ont vu des clients se faire questionner après 15 ou 20 ans. Sans farce !

« Depuis trois ou quatre ans, on voit des aberrations comme il n’y en avait pas avant. C’est malheureux, parce que les gens ne sont pas capables de se défendre. »

— Daniel Fortin, fiscaliste associé chez PwC

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Pourtant, les règles de prescription font en sorte que le fisc ne peut pas revenir en arrière trois ans après l’émission de l’avis de cotisation (sauf exception, j’y reviendrai plus loin). Si vous venez de recevoir votre avis de cotisation pour l’année d’imposition 2015, cela signifie que le fisc ne pourra plus faire de modifications après mai 2019.

Mais comme les règles fiscales permettent d’utiliser des pertes en capital pour effacer des gains jusqu’à trois ans en arrière, cela pourrait étirer la prescription jusqu’à six ans, sur cet élément précis de votre déclaration.

Justement, les autorités fiscales recommandent de conserver vos documents pendant six ans.

« En pratique, je conseille toujours à mes clients de conserver les 10 dernières années », dit le fiscaliste Michel Lavoie. C’est que les mécanismes de révision des déclarations de revenu et de divulgation volontaire permettent aux contribuables de modifier leurs déclarations des 10 dernières années.

Dans certains cas, les contribuables devraient conserver leurs documents encore plus longtemps.

Si vous avez des maisons ou des placements hors REER, il est crucial de conserver tous les documents (preuve d’achat, facture des travaux, etc.) pour être en mesure d’établir le gain en capital à la revente, parfois 20 ans plus tard.

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Dans des cas de fraude, de présentation erronée des faits, d’omission volontaire ou de négligence, le fisc peut revenir en arrière tant qu’il veut.

« Si les autorités fiscales ont un doute, elles peuvent demander des informations sur une transaction qui va au-delà des années prescrites, sans vous dire pourquoi », indique Jean-François Thuot, fiscaliste associé chez Raymond Chabot Grant Thornton.

Cauchemars garantis !

Un exemple ? Chaque année, certains contribuables qui ont fait du « flip immobilier » se font rattraper par le fisc. On parle ici de particuliers qui gagnaient leur vie en rénovant des maisons. Ceux qui avaient présenté leur profit comme du gain en capital ont une très mauvaise surprise si le fisc détermine, des années plus tard, qu’il s’agissait plutôt de revenus d’entreprise. Oups ! Ça coûte deux fois plus cher d’impôt. Plus les pénalités. Plus les intérêts.

Dans d’autres situations, il n’y a tout simplement pas de prescription. C’est le cas pour les contribuables qui n’ont pas produit de déclaration de revenus pour une année précise. Le fisc peut remonter aussi loin qu’il veut.

Idem pour les contribuables qui ont fait une cotisation excédentaire à leur REER ou qui ont oublié de déclarer qu’ils possédaient plus de 100 000 $ en biens étrangers.

Si on a affaire à un fraudeur qui a sciemment caché sa fortune dans un paradis fiscal, c’est parfait. Mais si on parle d’un investisseur qui n’a pas réalisé que les actions américaines dans son compte de courtage au Canada entraient dans cette catégorie, c’est vraiment triste. Le fisc applique une pénalité de 2500 $ par année, en retournant aussi loin qu’il veut. « On en a vu plusieurs », confirme M. Thuot.

Une vraie catastrophe pour les gens qui ont commis une erreur de bonne foi et qui n’ont pas éludé un cent d’impôt.

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