CHRONIQUE REVENU DISPONIBLE PAR HABITANT

Le Québec, province la plus pauvre ?

Bien des gens ont eu un choc cette semaine en apprenant qu’en 2015, le Québec se classait au dernier rang des provinces canadiennes pour son revenu disponible par habitant. Dixième sur dix.

Pourtant, ces chiffres n’ont rien de nouveau. L’an dernier, c’était pareil. L’Institut de la statistique du Québec calculait que, pour 2014, le Québec était également dixième. En fait, depuis 2010, le Québec et l’Île-du-Prince-Édouard se disputent le dernier rang. Le revenu disponible est par ailleurs le chiffre fétiche de François Legault pour parler des problèmes économiques du Québec. J’ai même écrit un livre là-dessus, en 2006, Éloge de la richesse.

Mais mieux vaut tard que jamais, si ces statistiques peuvent aider à nous faire prendre conscience collectivement de l’existence d’un problème.

À condition d’aller au-delà des chiffres, pour comprendre les causes de cet évident retard et de travailler à des solutions.

En partant, on ne peut pas dire que les Québécois sont les plus pauvres. Le revenu disponible des ménages n’est qu’une des nombreuses mesures de la richesse et de la prospérité. En général, les autres indicateurs placent plutôt le Québec au septième rang canadien, juste devant les trois provinces maritimes. Pas vraiment glorieux, mais un peu moins déprimant.

Le revenu disponible est une mesure macroéconomique provenant des comptes économiques nationaux, comme le PIB. Elle englobe l’ensemble des revenus des ménages (salaires, revenus de loyer, travail autonome), dont on enlève les paiements aux gouvernements et les cotisations aux régimes de retraite, et auxquels on ajoute les transferts des gouvernements et les pensions.

Le résultat, c’est ce qui reste aux ménages pour la consommation ou l’épargne. On divise ensuite le tout par le nombre d’habitants.

Ça donne 26 857 $ pour le Québec, 13,3 % de moins que les 31 314 $ de l’Ontario et 4,9 % de moins que les 28 222 $ du Nouveau-Brunswick.

Pourquoi ? Parce que les salaires ont augmenté moins vite. Parce que le bassin de travailleurs croît moins rapidement qu’ailleurs au Canada en raison du vieillissement démographique plus marqué. Parce que les Québécois paient plus d’impôt, mais aussi parce que les citoyens des provinces plus pauvres reçoivent plus d’Ottawa.

Mais pour savoir comment vivent les gens, il faut regarder ailleurs.

Par exemple, la rémunération hebdomadaire moyenne, où le Québec, avec 894,07 $ en 2016, se retrouvait au septième rang, avec un écart de 10,1 % avec l’Ontario. Ou encore des données recueillies auprès des ménages, comme le revenu médian des familles, pour lequel une famille québécoise, en 2014, avec 73 870 $, se retrouvait une autre fois au septième rang, mais avec un écart avec l’Ontario, beaucoup plus faible, de 6,4 %.

On pourra se consoler en parlant du coût de la vie et du prix des maisons à Toronto et à Vancouver. Mais l’argument ne tient pas la route pour les autres régions canadiennes. On pourra parler des services publics plus complets au Québec. C’est vrai. Mais ça ne change rien au fait que si le Québec est en queue de peloton pour les diverses mesures de revenu, c’est d’abord et avant tout parce que sa croissance économique n’est pas assez forte.

Et ça, on le voit avec le PIB par habitant, qu’on appelle aussi le niveau de vie. Cet indicateur, obtenu en divisant la production nationale par le nombre d’habitants, ne mesure pas le bien-être, mais plutôt le niveau d’activité et la performance de l’économie. Là encore, le Québec est septième, à 16,7 % derrière l’Ontario, et il n’arrive pas à se rattraper parce que la croissance du PIB par habitant est généralement plus faible au Québec que dans le reste du Canada.

En plus, le Québec perd du terrain. Pour le revenu disponible des ménages, il était au cinquième rang en 2006. Il est maintenant au dixième. Pour le salaire hebdomadaire, il est passé du quatrième rang au septième. Parce que le Québec a perdu des plumes avec l’affaiblissement de sa base industrielle traditionnelle, par exemple les pâtes et papiers. Mais surtout parce que d’autres provinces, Terre-Neuve, le Manitoba et la Saskatchewan, ont explosé pour dépasser le Québec, surtout grâce aux ressources naturelles.

Le résultat, c’est un échec. Le réflexe sera sans doute d’y voir, pour reprendre l’expression que Gabriel Nadeau-Dubois a remise à la mode, la trahison de notre classe politique. Et pourtant, je suis ces choses de près depuis longtemps, et j’ai pu voir à quel point tous les gouvernements, ceux de Bourassa, Parizeau, Bouchard, Landry, Charest, Marois, Couillard, ont essayé, chacun à leur façon, de donner du souffle à l’économie. Manifestement, personne n’a trouvé la recette magique.

Certaines choses vont bien, comme, depuis deux ans, la création d’emplois. Mais la croissance n’est pas assez forte, il manque d’investissements, la progression de la productivité n’est pas suffisante.

Et cela s’explique largement par les résistances sociales, culturelles et politiques, qui rendent difficile un effort constant et cohérent de développement économique.

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