Chronique

Cache-cache à la pharmacie

Combien coûtent les services de votre pharmacien ?

Si vous viviez en Ontario, vous n’auriez qu’à regarder sur votre facture, car les honoraires y sont indiqués séparément.

Si vous viviez en Colombie-Britannique, vous pourriez même comparer en quelques clics les honoraires des différentes pharmacies de votre région à l’aide du site Pharmacy Compass, un outil drôlement pratique qui gagnerait à se répandre chez nous.

Mais au Québec, les patients sont dans le noir. À preuve, 80 % des Québécois ne savent pas à combien s’élèvent les honoraires de leur pharmacien ou ne savent carrément pas qu’il perçoit des honoraires, selon un nouveau sondage remis à La Presse par l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

Pour les assurés du régime public, les honoraires sont fixés par le gouvernement autour de 9 $ par prescription. Mais pour les assurés du privé, les honoraires varient d’une pharmacie à l’autre. Et ils sont facilement trois fois plus élevés qu’au public. Ne cherchez pas : ils ne sont divulgués nulle part. Transparence zéro.

Plus Québec négocie serré avec les pharmaciens, comme c’est d’ailleurs le cas cet été, plus les pharmaciens se reprennent sur le dos du privé, qui n’a aucune espèce de façon de contrôler les prix. Bref, le privé sert toujours de soupape.

Près de vingt ans après la création du régime d’assurance médicaments, un écart de prix substantiel s’est donc créé. Tout le monde le reconnaît, y compris les pharmaciens. Les assurés du privé paient 17 % plus cher que ceux du public et même 37 % sur les médicaments génériques, selon l’ACCAP.

Comme le prix du médicament (la molécule en tant que telle) est fixe, ce sont les honoraires et la marge bénéficiaire des pharmaciens qui font toute la différence. Et quelle différence ! Chaque année, le privé subventionne le public à hauteur de 400 millions, en payant plus cher les mêmes services.

Cet interfinancement qui s’est immiscé sournoisement dans notre système est inéquitable et dommageable pour les régimes privés, déjà sous pression à cause de l’escalade des coûts. Et ce n’est pas près d’arrêter avec l’arrivée d’une vague de médicaments très coûteux.

Il y a donc urgence d’agir si on ne veut pas que les employeurs balancent par-dessus bord leur régime d’assurances collectives.

D’ailleurs, une cinquantaine d’employeurs du Québec, représentant 400 000 employés, ont écrit ces derniers mois au ministre de la Santé pour qu’il mette fin à cette injustice. Ces grands noms réclament notamment la divulgation des honoraires des pharmaciens, comme c’est le cas dans les autres provinces canadiennes.

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Mais, vous l’aurez deviné, les pharmaciens sont contre. Qu’ont-ils donc à cacher ? De quoi ont-ils peur ?

D’abord, ils craignent la confusion. D’après eux, la facture des médicaments est déjà assez complexe. Ajouter deux colonnes pour présenter le prix de la molécule et les honoraires mélangerait encore plus les clients.

Si vous voulez mon avis, les conseillers financiers nagent dans un univers encore plus compliqué, ce qui n’a pas empêché les autorités réglementaires de leur imposer la divulgation complète de leur rémunération depuis le 15 juillet dernier. Une bien bonne chose.

Les pharmaciens répliquent que si les patients veulent comparer les prix, ils n’ont qu’à se pencher sur le prix global du médicament. C’est vrai. Mais trop peu de consommateurs le font. Il faut dire que le magasinage n’est pas facile, car les pharmaciens ne sont pas forcés de fournir leurs prix aux patients qui ne sont pas leurs clients.

Personnellement, je crois que les clients se poseraient plus de questions et magasineraient davantage s’ils voyaient apparaître des honoraires anormalement élevés sur leur facture.

Mais gare aux tours de passe-passe ! En Ontario, certains pharmaciens minimisent les honoraires qu’ils doivent présenter à part, tout en augmentant leur marge bénéficiaire qui reste cachée dans le prix du médicament.

Pour éviter ce genre de transparence factice, il faudrait donc forcer les pharmaciens à divulguer leurs honoraires ET leur marge bénéficiaire. C’est d’ailleurs ce que le Cirano avait recommandé en 2014 dans un rapport étoffé sur les moyens d’améliorer la transparence des prix en pharmacie.

Mais, alors là, les pharmaciens sont encore plus férocement opposés.

— Est-ce qu’on force les autres professionnels à dévoiler leurs profits ? s’insurge l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP).

— Pensez-vous vraiment que la transparence des prix réglera l’écart de prix entre le public et le privé ? plaide l’AQPP.

Non, ça ne réglera pas le problème au complet. Mais ce serait un pas dans la bonne direction. Car autrement, comment résorber l’écart de prix ?

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Fixer les honoraires au privé comme au public ? Mais les pharmaciens s’opposent à une telle « nationalisation », disant qu’ils ne sont pas des employés de l’État, mais des entrepreneurs qui investissent dans leur commerce.

Permettre aux assureurs de négocier des prix avec les pharmacies comme cela se fait ailleurs ? Mais les assurés ne seraient pas contents de se faire imposer un pharmacien, un choix qui va bien au-delà d’une question de prix, il faut le dire.

Quoi d’autre ? Revoir de fond en comble la rémunération des pharmaciens qui a peu évolué depuis 1962. Ceux-ci aimeraient être rémunérés en fonction de l’intensité des services qu’ils rendent, plutôt qu’en fonction du médicament qu’ils vendent.

Mais avant de se lancer dans une réforme de cette ampleur, il faudrait avoir la garantie que cela permettra de combler le fossé entre le privé et le public.

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