Porte ouverte aux bonis pour les hauts dirigeants
QUÉBEC — — Après un moratoire de six ans, il n’y a plus d’obstacle légal au versement de bonis au rendement : les sociétés d’État et les universités peuvent désormais, à leur guise, en accorder à leurs gestionnaires. Il y a un « vide juridique » pour ce qui est des sous-ministres et des patrons d’organisme nommés par le gouvernement.
Le personnel politique des cabinets ministériels retrouvait lui aussi la possibilité de toucher ces bonis, dont le versement est suspendu depuis 2010. Questionné par La Presse vendredi, le gouvernement Couillard reconnaissait la situation, tout en refusant de dire si des primes allaient ou non être versées. Il a finalement signalé hier que le chef de cabinet de Philippe Couillard, Jean-Louis Dufresne, vient d’envoyer une directive au Trésor pour reconduire d’un an la suspension des bonis pour le personnel politique des ministres.
Une question délicate
L’enjeu des bonis au rendement est une question délicate que se refilent les ministères et les cabinets politiques, a constaté La Presse au cours des derniers jours. Pourquoi ? Parce que la loi 100 n’a plus aucun effet, une situation qui crée beaucoup de confusion.
La législation, adoptée sous le gouvernement Charest en 2010 puis modifiée à quelques reprises, interdisait « l’octroi de prime, allocation, compensation ou autre rémunération additionnelle fondée sur le rendement ».
Elle touchait plus de 15 000 cadres et dirigeants des ministères et des organismes de la fonction publique, des réseaux de la santé et de l’éducation, des cégeps, des universités et du personnel des cabinets ministériels. Dans le cas des sociétés d’État comme Hydro-Québec et Loto-Québec, les bonis ont été soit réduits, soit rendus conditionnels à l’atteinte de cibles financières fixées par le gouvernement.
Québec calculait que l’opération allait lui permettre d’économiser plus de 40 millions de dollars par année. C’était un moyen de contribuer à l’atteinte de l’équilibre budgétaire.
L’obstacle légal au versement des bonis au rendement a été reconduit année après année, de telle sorte qu’il aura tenu pendant six ans. La dernière année d’évaluation pour laquelle un boni au rendement ne pouvait être versé – ou l’être de façon conditionnelle pour certaines sociétés d’État – était 2015-2016, année où les finances publiques sont finalement sorties du rouge. Résultat : les primes sont possibles pour l’année financière qui vient de se terminer (2016-2017).
Entente
Par contre, les conditions de rémunération des cadres de la fonction publique, des cégeps, des réseaux de la santé et de l’éducation ont été modifiées récemment. Les bonis au rendement n’existent plus dans leur cas, selon une entente intervenue avec le Trésor en décembre dernier.
Mais pour les 750 hauts dirigeants des ministères et des organismes, qui sont nommés par le Conseil des ministres, ces primes sont toujours inscrites à leur contrat. Le « Règlement concernant la rémunération et les autres conditions de travail d’un emploi supérieur à temps plein » présente toutefois des modalités de versement qui réfèrent à la situation existante pour les cadres de la fonction publique.
« Il y a comme un vide juridique. »
— André Fortier, secrétaire général associé aux emplois supérieurs du ministère du Conseil exécutif
Le gouvernement Couillard devra prendre une décision : rétablir officiellement l’attribution des bonis ou l’abolir. Aucun de ses représentants n’a voulu se mouiller à ce sujet, malgré les tentatives répétées de La Presse au cours de la dernière semaine. Les bonis au rendement pour ces 750 gestionnaires représenteraient entre 8 et 9 millions de dollars par année si on en versait aujourd’hui, estime M. Fortier. Ils peuvent atteindre jusqu’à un maximum de 10 % du salaire, voire 15 % pour des cas moins nombreux.
C’est un boni maximal de 15 % auquel a droit, par exemple, le numéro un des fonctionnaires et bras droit de Philippe Couillard, Roberto Iglesias, selon son contrat qui vient d’être renouvelé. Le salaire annuel du secrétaire général a été majoré de 313 000 $ à 323 000 $.
Les sociétés d’État
De leur côté, les sociétés d’État sont maintenant libres de verser, selon leurs propres règles, des bonis au rendement à leurs gestionnaires. Il n’y a plus de conditions fixées par le gouvernement.
Des bonis ont été versés au cours des dernières années dans les sociétés d’État qui ont enregistré les bénéfices nets attendus par Québec. Prenons l’exemple de Loto-Québec : en 2015-2016, son PDG, Gérard Bibeau, a touché un boni de 56 540 $, en sus de son salaire de 377 000 $. D’autres gestionnaires et employés de cette société en ont obtenu, pour un total de 15 millions de dollars. Mais l’année précédente, personne n’en avait eu. Le bénéfice net n’était pas à la hauteur des attentes du gouvernement.
Il n’y a plus de contraintes légales non plus dans le cas des universités. Les membres de leur personnel de direction et certains cadres pourront en toucher pour l’année 2016-2017. Théoriquement, « les universités retrouvent leur capacité de faire ce qu’elles faisaient avant », a indiqué une source en haut lieu à Québec.
La ministre responsable de l’Enseignement supérieur, Hélène David, promet depuis un an d’encadrer la rémunération des recteurs et des hauts dirigeants des universités. Aucune mesure n’a encore été prise. À son ministère, on indique que le dossier des bonis relève du Conseil du trésor. Ce dernier lui renvoie la balle. Bref, c’est la croix et la bannière pour obtenir l’heure juste.
Des sources universitaires ont indiqué que les probabilités sont grandes pour que des bonis soient versés, puisqu’il n’y en a pas eu depuis 2010. Un « rattrapage » pourrait être invoqué, selon l’une d’elles. « Il y aura des pressions, quelle que soit l’université. » Les politiques de rémunération varient toutefois d’une université à l’autre.
Un litige oppose le Ministère et des universités sur l’enjeu des bonis depuis l’adoption de la loi 100. Et au cours des dernières années, le Vérificateur général du Québec a repéré l’octroi de bonis illégaux à l’UQAM, l’UQAR, l’UQAC, l’ETS et l’INRS.