RÉFORMES DU MINISTRE BARRETTE

L’échec

Dans un dossier publié lundi dans La Presse+, trois spécialistes du système de santé, appelés à faire un bilan des quelque trois ans de règne du ministre Gaétan Barrette, estiment que la grande majorité de ses réformes ont été et seront un échec.

Il faut noter que ma collègue Ariane Lacoursière, qui signe ce dossier, a pris bien soin de faire appel à des chercheurs indépendants : Joanne Castonguay de l’Institut de recherches en politiques publiques, Jean-Louis Denis et Paul A. Lamarche de l’Université de Montréal, qui n’appartiennent pas à des groupes qui négocient avec le ministre ou qui sont touchés par ses réformes.

Ce qu’ils disent, en substance, c’est que plusieurs des objectifs du ministre de la Santé et des Services sociaux sont valables, mais que son approche ne permettra pas de les atteindre, que ce soit l’accès à un médecin de famille, la réduction des attentes dans les urgences, l’intégration des pharmaciens ou la prise en charge des aînés.

Et derrière ces échecs, une approche trop centralisatrice, une conception du passé, des décisions qui ne sont pas fondées sur des faits probants, une absence de transparence qui empêche de mesurer les résultats, une approche qui consiste à « tout virer à l’envers ».

Ces conclusions vont dans le même sens que les très nombreuses chroniques que j’ai signées sur le ministre, une bonne douzaine depuis un an. Je ne rappelle pas cela pour me vanter, mais plutôt pour exprimer le fait que je suis soulagé de voir que mes analyses, souvent faites à chaud, plus instinctives que les études de chercheurs, n’étaient pas dans le champ.

Et si je reviens sur le sujet, c’est que ce constat d’échec nous force à nous poser de sérieuses questions.

Si les réformes de M. Barrette risquent de ne pas donner les résultats escomptés, qu’est-ce qu’on fait ?

La question que nous devrions plutôt nous poser, c’est : qu’est-ce que le premier ministre peut faire ? Philippe Couillard a été un grand ministre de la Santé. Il peut bien voir que l’approche de M. Barrette, radicalement différente de la sienne lorsqu’il exerçait cette fonction, connaît des ratés. Il doit également, j’en suis certain, être très mal à l’aise avec le populisme de son ministre, si peu compatible avec le style de son gouvernement.

Le réflexe naturel de ceux qui sont inquiets de la direction que prend le réseau de santé sera de souhaiter le départ du ministre.

Dans un autre monde, ce ne serait pas déraisonnable. Changer de maître d’œuvre dans un processus de réforme peut être une bonne chose, quand on s’aperçoit que le genre d’aptitudes nécessaires pour brasser la cage et faire bouger les choses ne sont pas appropriées pour rallier les partenaires à une réforme et recoller les pots cassés.

Mais la politique, c’est pas mal plus compliqué que le hockey, où le congédiement d’un entraîneur quand les choses vont mal est assez fréquent. On l’a vu avec Michel Therrien.

En politique, retirer un portefeuille à un ministre important comporte des risques et des coûts.

Surtout si on ne peut pas le déplacer dans une autre fonction, comme c’est sans doute le cas pour M. Barrette, venu d’abord en politique pour la santé. On ne voit pas ce qu’il pourrait faire d’autre, à moins, bien sûr, qu’il convoite la fonction de premier ministre.

Comme coûts, il y a d’abord le fait que déplacer un ministre peut être un aveu d’échec, difficile à faire en politique. Il y a aussi les réactions de la victime qui n’accepte pas son sort. On a vu à quel point le départ d’un ministre relativement mineur comme Robert Poëti a fait un tort immense au gouvernement Couillard. Un gouvernement peut également perdre des points en touchant à un ministre populaire.

Mais c’est un problème qui ne se pose probablement plus. Un sondage SOM Cogeco Nouvelles, rendu public la semaine dernière, révélait que la perception de l’évolution du système de santé est très négative : seulement 18 % des répondants pensent qu’il s’est amélioré, 38 % qu’il n’y a pas de changement et 44 % qu’il s’est détérioré. Et la satisfaction à l’égard du ministre Barrette n’est pas élevée :  3 % sont très satisfaits, 31 % assez satisfaits, 47 % peu satisfaits et 29 % pas du tout satisfaits. Donc 78 % de mécontents. Ce jugement sévère s’explique en partie par le fait que les Québécois apprécient sans doute de moins en moins le climat de chicane qu’entretient le ministre.

Il y a enfin des problèmes pratiques.

C’est bien beau de souhaiter le départ de Gaétan Barrette, mais pour mettre qui à sa place ? Un remplacement d’autant plus difficile que celui-ci a tellement centralisé le système qu’il est souvent le seul à savoir où il s’en va !

La solution, alors ? Baliser le ministre, comme on l’a fait en lui retirant la responsabilité des négociations avec les médecins. L’encadrer en imposant des outils d’analyse capables d’évaluer et de « monitorer » les réformes, en recréant la fonction de Commissaire à la santé et au bien-être. Le rappeler à l’ordre quand il va trop loin. Mais est-ce possible ? Est-ce assez ?

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