LIVRE DÉRACINÉS

Enquête sur les dérives de l’adoption internationale

Longtemps, Orlando Fleurant a cru que ses parents adoptifs lui avaient sauvé la vie. Que s’il n’avait pas été arraché à sa misère, les parasites qui grouillaient dans son ventre l’auraient tué avant qu’il n’ait atteint l’âge de 3 ans. Et puis, un jour, le Québécois est retourné dans le bidonville qui l’a vu naître, au fin fond de la République dominicaine. Là-bas, il a fait une découverte bouleversante.

Orlando n’était pas seul. Comme lui, des centaines d’enfants des bidonvilles avaient été donnés en adoption à des familles québécoises, dans les années 80. Orlando a réalisé qu’il avait des cousins et des voisins dominicains, désormais dans la trentaine, aux quatre coins de la province.

Déracinés raconte leur histoire. Publié le 10 septembre aux Éditions La Presse, ce livre est le résultat d’une enquête menée au Québec et en République dominicaine par la journaliste Isabelle Hachey.

Les témoignages récoltés ont permis de conclure que, pour combler une forte demande d’enfants adoptables au Québec, la défunte agence d’adoption Monde-Enfant – appuyée par des missionnaires québécois – a sollicité des familles parmi les plus vulnérables de ce petit pays des Caraïbes.

Déracinés lève le voile sur cette dérive, dont les impacts se font encore sentir, tant en République qu’au Québec.

ADOPTION ET BONNE CONSCIENCE

Pour bien des enfants dominicains, la greffe n’a jamais vraiment pris dans leur famille adoptive. « Trouble de l’attachement », ont souvent diagnostiqué les experts. Alexandrine Ubiera Joncas voit les choses autrement : « Pour moi, c’est plus un trouble de détachement, de déracinement », dit-elle.

Cofondatrice du Regroupement des adopté(e)s à l’international sans frontières (RAIS), Alexandrine conteste la façon dont on présente généralement l’adoption internationale : une manière de sauver des milliers d’orphelins dans le monde ou alors, une solution de rechange pour couples infertiles, comme si ces derniers détenaient le droit inaliénable d’avoir des enfants.

« Les parents adoptifs aiment se donner bonne conscience, dit-elle. On retrouve souvent, dans leur discours, cet aspect humanitaire. Ils sont convaincus que leur petit projet personnel d’adoption a aidé le pays. Je n’y crois pas. Je ne crois pas qu’on aide un pays en lui enlevant son avenir, ses enfants. »

L’histoire d’Alexandrine, dont la famille biologique était proche de celle d’Orlando, est racontée dans Déracinés.

Le livre soulève des questions difficiles sur la notion de « consentement libre et éclairé » des familles biologiques, souvent issues des milieux les plus défavorisés des pays en voie de développement.

Déracinés porte aussi un éclairage sur les zones d’ombre de l’adoption internationale. Et lance le débat : ses bienfaits l’emportent-ils vraiment sur les risques de dérives qu’elle engendre ?

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