PERSONNALITÉ DE LA SEMAINE

Clarissa Desjardins

Docteure en neurosciences, elle n’a pas suivi de formation en gestion ou en commerce. Cela ne l’a pas empêchée de bâtir une entreprise développant un médicament destiné à traiter une maladie des muscles squelettiques très rare. Et cela ne l’a pas non plus empêchée de vendre sa société à une pharmaceutique française pour la somme de 1,7 milliard de dollars. Clarissa Desjardins est notre personnalité de la semaine.

« Alors, vendre son entreprise pour 1,7 milliard, ça change la vie ?

— Pas vraiment, répond Clarissa Desjardins. J’ai encore le même but : livrer le médicament aux patients. »

Au bout du fil, la présidente et fondatrice de Clementia, entreprise montréalaise en train de développer un médicament qui pourra servir notamment à traiter une maladie des muscles squelettiques très rare, la fibrodysplasie ossifiante progressive (FOP), est détendue. L’annonce de la vente de sa société, pour 1,3 milliard US (1,7 milliard CAN), une entreprise qu’elle a lancée à partir d’une seule molécule rachetée à la société Roche qui avait choisi de ne pas la commercialiser, est maintenant chose du passé.

Et le travail continue.

A-t-elle des conseils à donner à ceux qui aimeraient atteindre un tel succès d’affaires ? « J’ai horreur des gens qui font la morale, qui donnent des leçons aux autres », répond la femme d’affaires, qui a fait des études poussées en sciences avant de se lancer dans le développement de plusieurs entreprises en biotechnologie. « Je préfère raconter mon histoire et laisser les autres en tirer les leçons qu’ils veulent. »

Son histoire est celle d’une jeune étudiante brillante, originaire de Moncton au Nouveau-Brunswick. Mère avocate, père professeur de psychologie à l’Université de Moncton, où il deviendra plus tard doyen et vice-recteur. Pour ses études universitaires, elle décide d’aller à Montréal, à McGill, directement en anatomie. On est en 1984. Plus tard, elle fera son doctorat en neurosciences, à la même université.

Succès immédiat

Pendant ses études, elle découvre comment utiliser des marqueurs biologiques fluorescents, plutôt que nucléaires, très courants de l’époque. Convaincue qu’il y a un potentiel commercial pour cette innovation, elle appelle un ami d’enfance, aussi du Nouveau-Brunswick, qui a étudié en commerce. Ensemble, avec un troisième partenaire – qui est aujourd’hui son conjoint –, elle lance une entreprise appelée Advanced Bioconcept. C’est un succès. Ils la revendront rapidement à une société belge, pour ensuite se relancer en affaires, avec une autre société, Caprion. 

Après 10 ans, toutefois, elle décide de s’en retirer. Elle est enceinte de son deuxième enfant. Elle a besoin d’une pause loin des entreprises en démarrage, surtout des voyages constants. Elle accepte un emploi dans un organisme voué à l’avancement de la médecine personnalisée, champ en développement qui vise les traitements médicaux sur mesure pour les patients, poussés notamment par les caractéristiques génétiques de chaque individu.

Dans le cadre de ce nouvel emploi, elle rencontre quelqu’un chez Roche qui lui parle d’une molécule au potentiel médical pour traiter des maladies très rares, dont l’entreprise n’assurera pas le suivi. Clarissa Desjardins décide d’en acheter les droits et de voir si elle peut en faire un traitement pour ensuite la commercialiser. C’est ainsi qu’en 2011, elle fondait Clementia, que la société pharmaceutique française Ipsen vient tout juste d’acquérir.

« Je crois que je suis une personne qui travaille très fort », commente Mme Desjardins, quand on lui demande ce qui lui a permis d’atteindre son succès. 

« Je crois que ce qui m’aide, c’est que je n’ai jamais eu peur d’échouer. »

— Clarissa Desjardins, présidente-directrice générale de Clementia

Parfois, poursuit Mme Desjardins, le risque d’échouer est bien réel et il est grand. « Mais ça ne m’affecte en rien », dit la femme d’affaires de 52 ans. « J’ai juste ce désir d’avancer. » Et une voix intérieure qui dit que, oui, il est possible que le projet ne marche pas. Mais qu’il est aussi possible que ça marche. Une voix qui dit : « Et pourquoi ça ne serait pas avec moi que ça marche ? » 

Souvent, on lui demande s’il faut absolument être hyper spécialisé en sciences pour travailler en biotechnologie, mais ce n’est pas un environnement aussi difficile qu’il en a l’air, répond-elle. « Et puis, on peut apprendre beaucoup en y travaillant », dit celle qui n’a pas suivi de formation en gestion ou en commerce et dont l’entreprise compte aujourd’hui 35 employés à Montréal et 15 à Boston.

Mais Clarissa Desjardins ne fait pas que travailler dans la vie. Elle a deux enfants, son conjoint en a un. Une journée libre se remplit aisément de plein air, de musique. Clarissa a appris la guitare et même le chant classique. Elle a chanté dans une chorale. Son fils, qui a aujourd’hui 12 ans, passe tout son temps dans les arénas, car il joue au hockey dans une équipe pee-wee AAA. Sa mère, vous l’aurez compris, y est aussi très souvent. Mais elle a été ravie de l’entendre récemment lui répondre, quand elle lui a demandé ce qu’il entreprendrait s’il était assuré de réussir, qu’il essaierait de devenir diplomate et de trouver une solution pour faire la paix dans le monde. « J’avoue, dit-elle, vu l’importance du hockey, que j’ai été surprise. Mais surtout, j’étais très fière. »

Clarissa Desjardins, elle, aimerait trouver d’autres médicaments pour d’autres maladies rares et cruelles. Il y en a 6000 de ces maladies orphelines. Du travail, il lui en reste pas mal.

Clarissa Desjardins en quelques choix

Un livre

The Power of Myth de Joseph Campbell

Un film

Le grand bleu de Luc Besson

Un personnage historique

Nelson Mandela

Un personnage contemporain

Robin Sharma, auteur spécialiste des questions de leadership

Une phrase

« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de personnes peuvent changer le monde. En fait, c’est toujours ainsi que le monde a changé. » — Margaret Meade, anthropologue américaine

Une cause

« C’est sûr que je descendrais dans la rue pour la justice ou la liberté, mais au Canada, on est vraiment chanceux, car nos droits fondamentaux ne sont pas menacés. On est vraiment un exemple dans le monde. On est vraiment très chanceux. »

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