documentaire

Bipolaires, fous, mais pas foutus

Ils sont trois. Trois bipolaires à avoir souffert de psychose, à avoir vécu là le trip de leur vie, et à avoir ensuite plongé dans la dépression. Ils sont aussi trois à s’en être sortis. Et à oser en parler. Sans filtre. Et en toute humilité.

Tenir tête, un long métrage documentaire signé Mathieu Arsenault, en salle demain, lève le voile sur le tabou de la maladie mentale comme vous ne l’avez encore jamais vue. Espoir bienvenu.

La psychose, « c’est une épreuve, une aventure, un voyage. Si tu survis au voyage, tu peux tout faire ». Mathieu Arsenault sait de quoi il parle. Il l’a vu, il l’a vécu, il y a survécu. Il y a quelques années à peine.

Un « Bouddha sur l’ecstasy »

C’était en 2013. Le jeune père de famille, à qui la vie souriait comme réalisateur (il revenait à peine de Cannes), a appris que sa blonde était enceinte. « Et tout a basculé. » Tout à coup, il s’est pris pour un dieu serpent. Il a entendu une voix. Et il a tout plaqué (littéralement, il a encaissé ses REER, laissé son boulot, sa fille et sa blonde enceinte) pour aller rejoindre une « jumelle cosmique » en Californie. « J’étais comme un Bouddha sur l’ecstasy », résume-t-il. La psychose – « le trip le plus intense de ma vie, le plus fascinant » – a duré des mois.

Dans son film, en plus de son récit (entrecoupé d’images psychédéliques de circonstance), Mathieu Arsenault raconte les parcours de deux autres personnes aux prises, comme lui, avec un trouble affectif bipolaire (diagnostiqué récemment). C’est ainsi que Frédérique Ménard-Aubin (jeune photographe aussi talentueuse qu’excessive) et Louis Parizeau (ex-batteur des Sinners, détective privé puis toxicomane) se mettent également à nu, révélant les hauts (très hauts, « je ne me suis jamais trouvée folle, juste géniale », confiera Frédérique) et les bas (tout aussi bas, « une loque humaine », dira de lui la fille de Louis) de leur maladie.

« J’avais une chance unique d’être cinéaste, de l’avoir vécu et d’en être sorti », explique le réalisateur, pour justifier son choix de sujet « potentiellement très tabou ». Ce n’est pas tous les jours en effet que des personnalités osent raconter leur maladie mentale en sons, en images et en témoignages. Il ne cache d’ailleurs pas que le processus a eu quelque chose de « thérapeutique », « parfois confrontant, parfois amusant, parfois triste ». Les larmes, déchirantes, de sa conjointe et de sa fille à la caméra en témoignent. Âmes sensibles, soyez averties.

Choisir son monde

C’est aussi pour sa fille que Mathieu Arsenault a décidé de revenir de Californie (et du « trip de sa vie »). Qu’il a été hospitalisé. Et qu’il a fini par se médicamenter. Parce que c’est elle qui lui a fait réaliser qu’il allait devoir choisir entre deux vies : « Soit j’étais un gourou dans la Silicon Valley, soit je m’occupais de ma famille. »

Les trois protagonistes ont plongé ensuite dans une profonde dépression. Mais les trois se sont relevés. Avec beaucoup d’humilité, ils racontent chacun comment ils ont remonté la pente : en appréciant les petites choses de la vie (le jardinage et l’équitation pour Frédérique, la natation pour Louis), et surtout en se reconnectant avec la réalité. « Comme être humain, je suis beaucoup plus pertinent à faire ce film-là qu’à être un gourou en Californie », dit aujourd’hui Mathieu Arsenault.

Chose certaine, la volonté de s’en sortir semble ici fondamentale.

« Le choix, tu l’as toujours. Il faut que tu choisisses dans quel monde tu veux évoluer : le monde spirituel, ou la réalité concrète et un peu plate. »

— Mathieu Arsenault

Le choix du réalisateur s’est imposé de lui-même : « Mes enfants vivent dans ce monde-là. Si je ne suis pas présent au quotidien, ça ne vaut rien, le monde spirituel. »

Rencontré dans un café de Rosemont la semaine dernière, le réalisateur dit aussi ne pas avoir peur de rechuter. Aujourd’hui, il se médicamente « religieusement ». C’est d’ailleurs le message qu’il souhaite léguer aux personnes atteintes : « Acceptez le diagnostic et faites confiance au système de santé. » À tous les autres, il lance cet appel : « Ne voyez pas les personnes en crise comme des fous foutus… » Son film est la preuve vivante, touchante et inspirante qu’il y a bel et bien une vie après cette folie.

Tenir tête, long métrage documentaire de Mathieu Arsenault, prend l’affiche demain à la Cinémathèque québécoise et au Cinéma du Parc, et sera diffusé le 13 mai, à 21 h, sur Unis TV, dans une version abrégée. Il sera projeté le 29 mars au Cinéma Cartier (Québec) et le 4 avril au Tapis rouge (Trois-Rivières).

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