Pesticides 

Collision frontale

La commission s’achève sur un bras de fer entre l’opposition et la CAQ

QUÉBEC — Évaluer les effets des pesticides sur la santé des Québécois, documenter les risques à la santé des agriculteurs, créer un fonds d’indemnisation pour les travailleurs agricoles atteints de la maladie de Parkinson. C’est un aperçu des 50 recommandations que formulent le Parti libéral du Québec et Québec solidaire pour éviter que la commission parlementaire lancée dans la foulée de l’affaire Louis Robert reste lettre morte.

Dans une démarche hors du commun, libéraux et solidaires dévoileront ce jeudi un « rapport parallèle » pour forcer la main du gouvernement et « prendre de front » l’enjeu préoccupant des pesticides sur la santé publique et l’environnement. Le document sera remis au ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, et aux députés caquistes qui siègent à la commission.

Le Parti québécois doit, de son côté, y aller de ses propres recommandations. L’opposition ne décolère pas. Il est hors de question que les travaux de la commission sur les pesticides, qui aborde un « enjeu de santé publique tellement grand », aboutissent à de simples « observations », comme le veulent les caquistes, plaide-t-elle.

« On nous a annoncé qu’on aurait un gouvernement vert. Bien je pense qu’il a là une belle occasion de réussir son test », a lancé la députée libérale Marie Montpetit, également vice-présidente de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN), chargée de la consultation sur les pesticides menée l’automne dernier.

« Pour nous, c’était non négociable que la conclusion [du rapport final], ça ne soit pas simplement des observations et qu’il n’y ait pas de recommandations », a soutenu la députée de Québec solidaire Émilise Lessard-Therrien. « On avait besoin d’avoir les coudées franches et de libérer notre parole », a-t-elle ajouté.

IMPACTS SUR LA SANTÉ

En tête de liste du document que La Presse a pu consulter, le Parti libéral du Québec et Québec solidaire réclament que le gouvernement réalise des études épidémiologiques pour évaluer les effets des pesticides sur la santé de la population. On demande aussi que Québec déploie « les efforts nécessaires » pour documenter les risques à la santé liés à l’utilisation des pesticides chez les professionnels.

Le gouvernement doit revoir la liste des maladies professionnelles, et la maladie du Parkinson doit y être reconnue pour les producteurs et travailleurs agricoles. Un fonds d’indemnisation doit par ailleurs être mis en place pour ceux qui seraient déjà atteints de la maladie, réclament-ils.

En outre, on demande que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec dédie des ressources financières pour mieux informer et conseiller les travailleurs agricoles sur la prévention des risques liés à l’utilisation des pesticides. Le MAPAQ devrait aussi fournir du financement pour l’achat d’équipement de protection individuelle.

Quelques recommandations de l’opposition

Que le gouvernement rappelle aux municipalités et MRC leur devoir de faire respecter l’application des bandes riveraines

Que le MAPAQ renforce le programme québécois de surveillance des résidus de pesticides dans les aliments en augmentant et en diversifiant l’échantillonnage

Que le MAPAQ finance à 100 % un programme de services-conseils indépendants qui effectuera de l’éducation sur les approches et techniques de lutte intégrée

Que le gouvernement s’assure que la recherche, financée par des fonds publics, respecte de hauts standards d’indépendance et de bonne gouvernance

« Il y a une problématique, il faut y répondre et mettre en place des mesures structurantes. C’était ça, notre travail de parlementaires. »

— Émilise Lessard-Therrien, députée de Québec solidaire

« À défaut que [nos recommandations] soient retenues par les députés de la CAQ, elles seront portées à l’attention des décideurs », a ajouté Mme Montpetit.

Elles estiment que leurs recommandations « font écho » aux propos entendus pendant la consultation publique et qu’elles sont loin « d’être extrémistes ».

DEVANT LE FAIT ACCOMPLI

Les partis de l’opposition estiment avoir été placés devant le fait accompli, en décembre dernier, alors que les élus caquistes leur ont fait suivre un document de travail intitulé Conclusions et observations. « Ce qu’on a compris, c’est qu’il n’y a pas matière à discussion ni matière à ajouts », a souligné Marie Montpetit.

Le président de la CAPERN, le député caquiste Mathieu Lemay, n’accordera pas d’entrevue sur le sujet avant jeudi après-midi. C’est que le comité directeur élargi de la CAPERN doit se rencontrer à 13 h 30 à Québec. « Pour nous, c’est la rencontre de la dernière chance », a illustré Marie Montpetit.

Le Parti québécois a dit, pour sa part, « espérer que la réunion permettra d’en arriver à un rapport qui contiendra des recommandations et pas seulement des observations » et ajoute qu’il « demeure confiant à ce stade de convaincre les députés du gouvernement d’aller de l’avant avec des recommandations ».

L’ajout de recommandations viendrait en quelque sorte « lier moralement » le gouvernement à poser des actions, estiment Marie Montpetit et Émilise Lessard-Therrien. « Si on fait des observations, le mandat se termine », déplorent-elles.

Elles réclament par ailleurs que la CAPERN se réunisse un an après le dépôt du rapport « afin de faire le suivi des recommandations » et que le MAPAQ et le ministère de l’Environnement fassent état de leur mise en œuvre dans les 18 mois suivants.

Hautement médiatisée en raison de l’affaire Louis Robert, la commission sur les pesticides a reçu 76 mémoires dans lesquels plus de 700 recommandations ont été proposées. Fin septembre, les parlementaires ont entendu 26 groupes lors d’une semaine d’audiences publiques.

Les députés ont aussi effectué trois visites de fermes, et un petit groupe s’est même envolé pour la France et la Belgique afin d’étudier les mesures prises en Europe pour réduire les risques associés aux pesticides.

ÉCHO À LOUIS ROBERT

Dans leur « rapport parallèle », le Parti libéral du Québec et Québec solidaire font écho aux préoccupations soulevées par le lanceur d’alerte Louis Robert, qui a par ailleurs livré un témoignage devant la commission. Les deux formations réclament que Québec revoie le « concept d’indépendance » du code de déontologie des agronomes et que l’Ordre des agronomes s’assure de son respect. On demande même que l’Ordre « interdise aux agronomes, à l’emploi des sociétés impliquées dans la vente des pesticides, peu importe la forme de leur rémunération, de produire des justifications et prescriptions agronomiques pour l’application des pesticides à haut risque ainsi que toute recommandation pour l’usage des pesticides ». Louis Robert estimait que les agronomes qui vendent des pesticides ne devraient pas être les mêmes qui autorisent les producteurs agricoles à en faire l’usage puisque cela les plaçait en conflit d’intérêts.

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