Virée des galeries

Quelles sont les expositions à voir ce week-end ? Chaque jeudi, nos critiques en arts visuels proposent une tournée montréalaise de galeries et de centres d’artistes. À vos cimaises !

karen elaine spencer

La patience au service de la vigilance

Puisant ses idées dans l’humanisme et la démocratie, karen elaine spencer présente, jusqu’au 18 février, Headlines (Les manchettes) à la galerie Ellephant, à Montréal. Des œuvres ludiques et graves, d’une calligraphie neutre mais qui questionne l’avenir des médias, la maîtrise de notre territoire, l’environnement ou encore notre système économique. 

Originaire de Colombie-Britannique, elle est montréalaise depuis trois décennies. Elle aime travailler (écrire, dessiner, agir) lentement mais sûrement, avec ce rythme géologique auquel obéissent les poètes, les joailliers et les vagabonds. Opposée aux traditions hiérarchiques et louant l’humilité (son nom se décline sans majuscules), karen elaine spencer est une artiste solidaire par essence.

Son dessein, parfois discret, parfois évident, est d’insuffler un peu d’âme dans la vie, de soutenir la préservation des dignes acquis de l’humanité et la promotion d’une société plurielle et plus juste. Elle a souvent versé dans la performance et signé des actions artistiques publiques, notamment à New York, Montréal et sur la toile. Cet hiver, elle présente, chez Ellephant, le résultat autant d’une année de travail (en 2014-2015) que de son intérêt envers les médias et leur devenir en cette ère où les images ont tendance à détrôner les mots.

karen elaine spencer a créé une vingtaine d’œuvres en peignant des phrases sur une toile. Des phrases issues d’articles de journaux québécois (La Presse, Le Devoir, Le Journal de Montréal), canadiens (Globe & Mail, Toronto Star, National Post) ou étrangers (New York Times, The Guardian, Financial Times). Elle les a écrites en collant chaque lettre des mots, les unes aux autres et selon un graphisme original, dans une sorte de grille carrée où les lettres occupent tout l’espace.

Ses œuvres se dégustent lentement, patiemment, car elles sont le plus souvent difficiles à décrypter. Il faut se creuser les méninges pour parvenir à déchiffrer les mots. spencer se plaît, en plus, à varier son style d’écriture pour corser le défi ! 

Jeu et conscience 

Il y a une part de jeu dans Headlines (Les manchettes) et une volonté de faire réfléchir. Sans juger (les phrases des articles sont factuelles), karen elaine spencer invite à une quête de connaissance, à noter le texte déchiffré puis à retourner dans le journal d’origine pour en connaître l’histoire complète. D’ailleurs, elle fournit au visiteur ou à l’acheteur du tableau un exemplaire original du journal dont est tiré l’extrait. Après le décryptage, bien sûr ! 

L’artiste ne décline pas n’importe quel sujet dans ce corpus qu’elle a voulu miroir social. Elle y aborde des questions environnementales, politiques, économiques, sociales ou sanitaires. Elle cite, par exemple, un titre du Devoir sur la société québécoise Ressources Strateco qui poursuit actuellement le gouvernement du Québec pour 200 millions car il a imposé un moratoire sur l’exploration de minerai d’uranium à cause de ses impacts sur la santé humaine. 

« Parler de ces problèmes n’est pas parler seulement d’une exploration d’uranium, mais aussi parler de ce que nous, les citoyens, on souhaite faire de notre territoire », dit-elle, rappelant, par ses œuvres, la nécessité d’être vigilant puisque les citoyens décident, chaque jour, de leur avenir commun en posant des gestes ou en ne les posant pas.

Concept éclairant et grave

Headlines (Les manchettes) est une exposition au concept éclairant et grave. Son propos vise les hommes et les femmes de bonne volonté, soucieux du bien d’autrui comme du bien commun. Elle axe ce souci autour de l’information journalistique de qualité, base d’une saine démocratie et dont notre organisation sociale dépend des efforts à la défendre. 

karen elaine spencer s’informe de temps en temps par l’intermédiaire d’une tablette numérique mais elle insiste pour dire que son plus grand plaisir demeure de fouiller dans les traditionnels quotidiens de papier journal qu’elle consulte la fin de semaine. « C’est beau de lire le journal papier, dit-elle. Tenir ça dans ses mains, tourner les pages et réaliser ce que signifie ce qui y est écrit. J’espère que le journal papier va demeurer car on en garde toujours quelque chose. Je suis peut-être nostalgique. C’est sûrement à cause de mon âge ! »

Headlines (Les manchettes), de karen elaine spencer, à la galerie Ellephant (1201, rue Saint-Dominique, Montréal), jusqu’au 18 février

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