Témoignage

Manifeste des naufragés de l’école

Cette lettre a été rédigée par des élèves du secondaire dans le cadre de la Journée du refus de l’échec scolaire

Naufragés, nous le sommes devenus par manque de repères. L’école n’a pas su nous guider, nous aider. Elle n’a pas trouvé de solutions aux problèmes que nous avons rencontrés en son sein. Par manque de volonté, par manque de moyens, rongée par ses problèmes, l’école nous a laissés couler. Nous nous sommes retrouvés laissés à nous-mêmes, à tenter de surnager malgré nos difficultés d’apprentissage, notre anxiété, nos séquelles d’intimidation…

Nous nous sommes retrouvés naufragés dans nos classes comptant un trop grand nombre d’élèves, dans un groupe qui se désorganise d’autant facilement. De ce fait, nous n’avons pas pu profiter des ressources de nos enseignants qui, débordés, ne sont pas capables de nous venir en aide adéquatement, parce qu’eux aussi tentent de surnager.

La surpopulation des classes nous empêche d’établir un lien significatif avec les enseignants, ce lien si précieux qui pourrait nous faire nous sentir valorisés, reconnus et aimés, et prévenir tant d’autres problèmes.

Nous nous sommes retrouvés naufragés par manque de stabilité du personnel, à cause du va-et-vient constant causé par les départs en burn-out des enseignants, par l’épuisement professionnel directement lié à la surpopulation des classes et à la surcharge de travail qui l’accompagne. Nous voulons que le nombre d’élèves par enseignant soit réduit radicalement, tant pour la bonne santé des élèves que pour celle du personnel.

Nous nous sommes retrouvés naufragés à cause du manque d’argent chronique du système scolaire public, mais aussi en raison des choix du précédent gouvernement de couper les dépenses et de la mentalité, très présente, de faire autant avec toujours moins. Cela nous fait nous demander si l’éducation est réellement une priorité pour notre société. Les jeunes représentent-ils vraiment l’avenir ? À voir la manière dont nous sommes considérés par le système scolaire, on pourrait croire que l’avenir… a peu d’avenir.

Une poubelle en manque de ressources

Nous nous sommes retrouvés naufragés à cause de la sélection pratiquée par le réseau des écoles privées, mais aussi en raison de la mode des programmes à vocation particulière. En effet, ces derniers ont tendance à drainer les élèves forts et à laisser baigner les autres dans une école publique régulière ressemblant, de plus en plus, à une poubelle en manque de ressources. Pourquoi tant d’argent est-il investi pour soutenir les écoles privées (qui desservent une clientèle minoritaire et triée), au lieu d’assurer au plus grand nombre les ressources nécessaires pour vivre une expérience scolaire positive et satisfaisante ?

Nous nous sommes retrouvés naufragés parce que l’école peine à être un milieu de vie stimulant et enthousiasmant, qui suscite le sentiment de sécurité et d’appartenance. Nous ne voulons plus que l’école soit une jungle où il arrive que l’on se sente menacé par un enjeu de pouvoir entre élèves, ou entre enseignants et élèves. Nous voulons un milieu de vie sécuritaire où le personnel est formé adéquatement contre l’intimidation. Nous voulons un milieu de vie démocratique où notre voix est vraiment prise en compte. Laissez-nous plus de place !

Nous voulons être partie prenante des décisions qui nous concernent, tant dans la classe que dans l’école. Écoutez-nous !

Heureusement pour nous, après notre naufrage, d’autres ressources nous ont repêchés et réanimés. Nous souhaitons maintenant faire entendre nos voix de naufragés afin que l’école change de cap. Il ne faut plus qu’autant de jeunes soient sur le point de sombrer. Il faut qu’ils puissent se guider grâce à un phare dont la lumière aura été rallumée par des changements radicaux et essentiels.

Nous sommes conscients qu'en tant qu’élèves, nous avons notre part de responsabilité dans notre réussite scolaire : utiliser des stratégies appropriées, pratiquer avec application notre métier d’élève, acquérir une discipline de travail, demander de l’aide lorsque nous en ressentons le besoin.

Nous nous engageons à faire notre part. S’il vous plaît, faites la vôtre ! Ne laissez plus des jeunes en difficulté comme nous devenir des naufragés de l’école.

* La Journée du refus de l’échec scolaire, qui avait lieu le 25 septembre, était organisée par le Regroupement des organismes communautaires québécois de lutte au décrochage (ROCLD).

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