Chronique

Blessure au bas
de l’âme

Quel idiot a déclaré que la série contre les Rangers serait plate, après Boston ? Qui c’est, ce cave ?

C’est moi, t’as raison, ça me revient.

Mais j’étais pas seul. Sois fin, svp.

Hier, Ronald, j’ai rencontré un ancien joueur des As de Québec. Tu l’aurais aimé. Il a été entraîneur et il forçait ses joueurs d’avant à jouer en défense à l’entraînement, pour leur faire comprendre l’importance du mot « repli ».

Cet octogénaire voit toutes les petites choses qui font la subtilité du jeu. Il m’a raconté en détail le dégagement qui a permis aux Américains d’obtenir une mise en jeu en territoire du Canada, avec 30 secondes à faire, lors du match de la médaille d’or aux JO de Vancouver, et d’égaliser...

Même si le Canada a gagné, il était encore dégoûté par la stupidité du jeu, quatre ans plus tard. « Il n’avait qu’à envoyer la rondelle sur la bande ! »

Cet homme n’est pas capable de regarder les parties. Trop de joueurs trop stupides trop payés. Sauf qu’il n’est pas capable non plus de ne pas les regarder.

Alors, il dit à sa femme de regarder le pointage de temps en temps, pendant qu’il lit dans une autre pièce. Si son équipe perd, elle ne doit rien dire. Si elle gagne, il est averti et va voir la partie.

***

Toujours est-il que cet ancien joueur des As, qui a connu les Richard et toutes les gloires des années 50 et 60, m’a dit hier que le Canadien a trouvé la faiblesse de Lundqvist.

Oui, Ronald, ils ont trouvé. Tu devines ?

Sa faiblesse, c’est entre le coude et la poitrine. Tu sais ce petit triangle des Bermudes où vont se perdre tant de morceaux de caoutchouc ?

T’as une fraction de seconde pour décider de l’ouvrir ou de le fermer... C’est court, une fraction de seconde, y a pas tant de choses que ça qu’on peut faire en moins d’une seconde...

Ouais. « Entre le coude et la poitrine. » Tu trouves pas que ça ferait un joli titre pour les mémoires de certains membres de la confrérie du journalisme sportif international ?

En tout cas.

***

Moi, je te dis ceci, Ronald : si Emelin est blessé « au corps » (on sait pas où), Lundqvist, lui, est blessé à l’âme. Au bas de l’âme, pour être précis.

L’âme, en effet, comprend plusieurs compartiments. Le haut de l’âme s’occupe surtout de transcendance. On y entend souvent des airs de violoncelle et des interrogations sur le sens de l’Histoire et la couleur de la margarine.

Le bas de l’âme, c’est le grand débarras des petites anxiétés qui peuvent finir par vous gâcher un jeudi soir. C’est le siège des regrets. Des gaffes. Des paroles malheureuses, qui vous traînent dans le cerveau des années après avoir été prononcées. Comme la fois où j’ai écrit « Beaudelaire », Ronald, ce genre de honte dont vous ne pouvez jamais vous départir totalement.

C’est là qu’il a mal, Lundqvist. Il se promenait la nuit dernière dans son appartement qui surplombe Central Park, si haut que le bruit des sirènes de police est comme un chant de merle... Insomniaque, Ronald... Il gesticule seul dans le noir... Coude, poitrine, coude, poitrine... Le but de Plekanec ! Pourquoi ! Il suffisait... Coude !! Poitrine !!!

Ça fait mal. Ça fait très, très mal !

Ce qui fait qu’on a tout lieu d’être optimiste. Mon fils dit qu’il va reformer ce qu’il appelle son « alignement gagnant » pour regarder ça. Ils s’assoient selon un rituel bien précis devant la télé et ont une excellente moyenne.

Si ça ne t’embête pas trop, j’ai décidé d’y croire.

Chronique

Monsieur Brière

Michel Therrien nous a appris hier qu’Alexei Emelin était blessé « au corps ».

Il est tout de même étonnant, Yves, que nos p’tits gars se soient rendus aussi loin avec cet énergumène comme chef.

Je persiste à croire que nos joueurs sont soudés pas « contre » l’entraîneur, mais lui ne fait pas partie du groupe. Nos gars sont des professionnels orgueilleux qui veulent gagner, et Therrien n’est qu’un obstacle parmi d’autres.

Nous avons de bons leaders. J’ai vu à la télé une photo de Daniel Brière, hilare, en compagnie du gros comique qui se déguise en Ginette Reno. Avec la vraie ou la fausse Ginette, on voit bien que Brière, reconnu comme un joueur de séries éliminatoires, s’amuse.

Il n’est pas capitaine, mais il a décidé de répondre à Alain Vigneault et il l’a fait avec beaucoup plus d’aplomb et d’efficacité que Therrien. Notre coach a fait un fou de lui avec l’incident des adjoints des Rangers de New York à l’entraînement du Canadien.

Penses-tu qu’en 2014, avec toutes les caméras sophistiquées qu’il y a dans les salles, les Rangers n’auraient pas pu observer discrètement ?

Therrien s’est emporté, il a sacré devant les caméras, il a jappé et le mal était fait. Vigneault devait rire...

Brière aurait pu se taire et laisser couler ce coach qui lui a souvent manqué de respect. Non, il s’est présenté devant les caméras et il a remis Vigneault à sa place. Avec un sourire et cette voix douce des gens dont il faut se méfier.

Et lorsque Therrien daigne faire appel à lui, Brière produit des buts importants.

Un leader, un vrai. Il s’est levé une fois de plus pour son équipe. Avant le septième match
à Boston, il avait encore souri et dit : « Ça sera plaisant de les voir quitter la patinoire la tête basse... »

Bingo ! Milan Lucic a même fait des menaces de mort... Victoire totale.

Brière est très respecté par ses coéquipiers, on le voit bien, et je suis certain qu’ils se tournent vers lui lorsqu’ils ont des interrogations.

Et tu sais ce qu’il leur dit, Yves ? Il leur dit d’avoir du plaisir, de ne pas rater ce qui sera peut-être le moment le plus excitant de leur carrière.

Alors, on pose avec la fausse Ginette Reno et on rit.

À l’avenir, je vais l’appeler Monsieur Brière, si tu veux bien.

Et pardon pour la montée de lait contre Therrien. Tu ne mérites pas d’entendre ça.

Mais ça me fait du bien.

***

Mardi matin, je suis sorti en gougounes, Yves, et je me suis vite senti un peu con. Hier, j’ai retrouvé des gants que j’avais remisés pour l’été. Et une tuque, au cas.

L’été... Ils nous ont bien eus. Moi le premier, qui ai déjà fait épiler ma ligne de bikini. Et ça m’a fait mal.

Qu’est-ce qu’on mange pour un sixième match à New York ? Je suis à bout d’idées.

Allez, demande-moi à quoi je m’attends ce soir...

Eh bien, je ne sais plus. Cette équipe est devenue un mystère pour moi.

Imagine pour les Rangers ! Comme les Bruins, nous sommes en train de les mêler complètement.

Il n’y a pas de grandes vedettes offensives dans notre équipe, mais il y a toujours un Bourque ou un Weise, un Brière ou un Galchenyuk qui peut vous faire du mal.

Et puis, surtout, une bande très unie.

J’ai sacrifié un pigeon du parc La Fontaine hier – n’en parle pas – et j’ai vu de belles choses dans ses entrailles, Yves...

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