Opinion Alain Dubuc

DÉCLARATION D’IMPÔT UNIQUE
Éloge de la simplicité

L’idée d’instaurer un système de perception fiscale où les Québécois rempliraient une déclaration de revenus unique est une excellente idée. Le système actuel, avec deux déclarations, deux régimes fiscaux, deux ministères, est compliqué pour les citoyens et les entreprises, et il nous coûte plus cher pour rien.

En toute logique, la mise en œuvre d’une mesure qui simplifie nos vies tout en mettant fin à un cas très net de duplication inutile tombe sous le sens. Si ce n’était qu’un enjeu fiscal, ça serait réglé depuis longtemps.

Mais ce n’est pas un dossier fiscal. C’est plutôt un dossier politique, très politique. Par définition, l’instauration d’une déclaration unique signifie que la gestion de l’impôt sur le revenu deviendra la responsabilité d’un seul gouvernement. Lequel ? Le fédéral ou le provincial ? Ce jeu de souque à la corde ne tient pas seulement aux réflexes de territorialité administrative de chacun des ministères.

Derrière la question officielle, à qui envoyer sa déclaration, se profile un enjeu beaucoup plus profond : le droit du Québec de percevoir ses impôts, symbole important dans les gestes qu’a faits le Québec pour affirmer son autonomie du Canada. On touche alors à une corde très sensible.

Et ça remonte à loin, à trois quarts de siècle. Historiquement, la taxation directe était le seul champ d’imposition auquel avaient accès les provinces. Au début des années 40, le gouvernement fédéral a demandé aux provinces de leur céder temporairement ce champ d’imposition en échange de subventions pour financer l’effort de guerre. Mais après la guerre, le système est resté.

Depuis, c’est Ottawa qui perçoit l’impôt sur le revenu des particuliers de toutes les provinces, où il n’y a toujours qu’une déclaration de revenus, la fédérale, avec des annexes provinciales. Sauf au Québec, où le premier ministre Maurice Duplessis, dans les années 50, a instauré l’impôt sur le revenu, et créé un ministère dans un geste d’affirmation qui a mené à une âpre bataille.

Vouloir revenir là-dessus, c’est s’aventurer en terrain miné.

Quand la Commisssion de révision permanente des programmes, la commission Robillard, a proposé, en 2015, de confier la perception des impôts provinciaux au gouvernement fédéral, pour réduire les dépenses, ce fut le tollé.

L’idée revient toutefois régulièrement sur le tapis. Ces derniers jours, le Parti conservateur fédéral, dans un effort de séduction du Québec, l’a appuyée. Le Parti québécois – naturellement séduit par les mesures qui renforcent les pouvoirs de Québec et affaiblissent ceux d’Ottawa – , pour qui cette question est un cheval de bataille, a repris la balle au bond en déposant une motion à l’Assemblée nationale qui, amendée, a été adoptée à l’unanimité la semaine dernière.

La motion est très claire, ça doit se faire au Québec : « Que l’Assemblée nationale demande au gouvernement du Québec et au gouvernement fédéral la mise en place d’un rapport d’impôt unique, transmis à Revenu Québec, pour tous les contribuables québécois, et ce, tout en préservant l’autonomie fiscale du Québec. »

Cette motion ressemblait un peu à un piège tendu aux libéraux. Ceux-ci ne pouvaient pas vraiment se permettre de ne pas l’appuyer, surtout en période préélectorale où ils doivent montrer leur fibre nationaliste. Même si cela fournit des munitions à l’opposition péquiste, soit pour dénoncer la mollesse du gouvernement pour faire avancer le dossier, soit pour dénoncer l’intransigeance du fédéral.

Mais le chef péquiste Jean-François Lisée, qui parle trop, s’est enfargé dans ses manœuvres avec une déclaration d’une étonnante immaturité. En lançant que ce rapport d’impôt unique serait une « bande-annonce » pour la souveraineté, il prenait le moyen le plus sûr pour faire avorter le projet qu’il disait vouloir défendre. 

Cela a sans doute contribué à la réticence d’Ottawa qui, s’il est ouvert à l’idée de la déclaration unique, semble préférer gérer la chose lui-même.

Je suis certain que la crainte de compromettre les quelque 5000 emplois de l’Agence de revenu du Canada au Québec n’est pas la seule raison. Difficile pour un ministre fédéral de contribuer à la promotion de l’indépendance.

Pourtant, sur un plan strictement technique et budgétaire, la solution la plus logique serait de transférer la perception à Ottawa. D’abord parce que le gouvernement fédéral dispose d’une machine bien rodée partout au Canada. Ce n’était pas le cas il y a 25 ans, dans le dossier de la TPS, quand le Québec s’est entendu avec le fédéral pour percevoir la TPS en même temps que sa TVQ.

Cela permettrait au Québec de faire des économies, quoi qu’on ne sache pas exactement de combien. La commission Robillard avait fait faire des calculs qui donnaient 400 millions, mais pour l’ensemble des taxes, y compris la TVQ. Les chiffres ne sont pas énormes. Pour l’impôt sur le revenu des particuliers, le Québec économiserait 357 millions en frais de perception, mais il y aurait des frais pour gérer les mesures fiscales spécifiques au Québec, des pertes de revenus pour les intérêts et les amendes, tant et si bien que le gain net ne serait que de 69 millions. Et ce gain pourrait se transformer en perte si la fusion des activités réduisait l’efficacité de la lutte contre l’évasion fiscale.

Par contre, l’opération inverse procurerait moins d’économies. Parce que si le Canada ne facturait pas ses services au Québec parce qu’il les offre déjà gratuitement aux autres provinces, le Québec voudrait facturer ses services au fédéral, comme il le fait pour la TPS. Mais on voit mal pourquoi le gouvernement fédéral accepterait de payer pour un service qu’il dispense déjà, et qui le laisserait avec des milliers d’employés sur les bras.

Bref, il y a là une belle impasse. On peut cependant la résoudre, en se rappelant un certain nombre de choses importantes.

D’abord que le but premier d’une telle initiative est de faciliter la vie des citoyens, d’augmenter la transparence du système fiscal, de réduire le fardeau administratif des entreprises. L’objectif est assez important pour justifier des compromis, par exemple ceux qu’a proposés le PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Stéphane Forget, comme un mécanisme de copropriété fédérale-provinciale, ou encore une délégation réciproque, où un gouvernement prend en charge l’impôt des particuliers et l’autre, celui des sociétés.

Pourvu que les formules assurent la perception, pour que la fusion des activités, peu importe comment elle se fait, ne réduise pas l’efficacité du système de perception. Et pourvu que cet effort, au nom de la simplicité, permette une certaine harmonisation des systèmes et réduise les différences irritantes.

Mais quand on change de siècle, il faut aussi changer de symboles. La perception physique des impôts, avec le ministère, le papier, les transmissions postales, est une activité mécanique qui revêt beaucoup moins d’intérêt qu’autrefois. Le véritable enjeu, ce n’est pas de savoir qui perçoit, mais bien qui décide.

L’important, pour un gouvernement, c’est d’avoir un contrôle sur ses revenus fiscaux et d’avoir le pouvoir de mettre en place ses propres politiques fiscales, de faire ses propres choix sur le niveau d’imposition et la progressivité du régime, d’avoir la capacité de déployer des outils fiscaux, comme les crédits d’impôt, pour mettre en œuvre des politiques économiques et sociales. Ces pouvoirs seraient intacts, quel que soit le scénario retenu.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.