Chronique

Le mystère des frais imposés aux patients

Notre système de santé est gratuit, mais les médecins facturent tout de même beaucoup de frais à leurs patients, selon les circonstances. Combien ? C’est LA question, pourtant fondamentale, à laquelle personne ne peut vraiment répondre.

Quand je dis personne, je veux dire ni Gaétan Barrette, ni la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), ni même le Vérificateur général (VG), qui vient pourtant de déposer un rapport étoffé sur le sujet. Mystère.

Le VG a analysé les 388 actes médicaux les plus susceptibles de donner lieu à des factures aux patients. Les 388 actes ne représentent qu’une fraction du total, ne l’oublions pas, puisque les médecins prodiguent, dans les faits, 11 000 actes médicaux différents chaque année. Mais bon, selon les syndicats de médecins, ces 388 actes sont ceux qui méritent d’être décortiqués.

Alors, combien de frais pour ces 388 actes ? Beaucoup de millions. Combien ? Le VG n’en a aucune idée, pas plus que le Ministère.

Devant l’ampleur de la tâche, le VG a pris un échantillon de 14 actes, pour lequel il a pu avoir un aperçu des frais facturés aux patients. Parmi les 14 actes, il y a la vasectomie, la coloscopie et l’excision de kystes, par exemple.

Alors combien ? Environ 14 millions (1). Oui, oui, 14 millions pour 14 actes, soit 1 million de dollars par acte. Est-ce à dire que les frais aux patients pour les 388 actes ciblés pourraient totaliser l’énorme somme de 388 millions par année ? Aucune idée, dit le VG.

Depuis quelque temps, Gaétan Barrette soutient que l’ensemble des frais aux patients s’élèverait à 50 millions par année, mais selon le VG, « cette évaluation ne s’appuie sur aucune analyse ». Quand même incroyable !

L’an dernier, le ministre avait déclaré qu’il voulait permettre aux médecins de facturer certains frais, mais en les encadrant. Les médecins justifiaient ces factures par les coûts des médicaments (par exemple, la cortisone pour une injection) ou l’amortissement des appareils techniques, entre autres.

Le hic, c’est que les frais facturés aux patients sont souvent bien supérieurs aux coûts, de sorte que les médecins, notamment les spécialistes, en tirent parfois un juteux profit.

Surtout, les médecins en clinique reçoivent déjà une tarification majorée de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) pour tenir compte de ces frais de fonctionnement (loyer, assurances, secrétaire, etc.). La bonification des tarifs serait de 35 %, selon la RAMQ.

Par exemple, un médecin qui reçoit 100 $ pour un acte prodigué dans un hôpital recevrait plutôt 135 $ en clinique, somme à laquelle s’ajoutent parfois les frais aux patients.

En plus du mystère des frais aux patients, le VG a découvert un autre problème : cette fameuse bonification de 35 % est une estimation historique, qui ne repose sur rien de concret aujourd’hui. En 2010, une firme externe mandatée par le Ministère et un syndicat de médecins avait bien tenté d’estimer la réelle bonification, mais en vain : les médecins étaient trop peu nombreux à vouloir participer à l’étude.

Le VG a donc fait lui-même l’exercice pour les mêmes 388 actes (149 sont prodigués par les médecins de famille et 239 par les spécialistes). Les résultats sont étonnants.

Sur les 149 actes ciblés pour les omnipraticiens, 109 bénéficient d’une bonification de la RAMQ en clinique et cette bonification oscille entre 8 % et… 303 % !

Par exemple, l’excision d’un kyste est payée 56,30 $ en clinique contre 22,35 $ en établissement, soit une bonification de 150 %. Pour une vasectomie, c’est 92,84 $ contre 70,25 $, un écart de 32 %. Pour l’ensemble des 149 actes analysés, la bonification est de 30 % (et non l’historique 35 %).

Dans le cas des spécialistes, la situation est tout autre. Des 239 actes analysés, seulement 47 ont un tarif plus élevé en clinique (de l’ordre de 3 % à 289 %), tandis que 149 sont au même montant et 43 ont un tarif étonnamment plus bas (entre 4 % et 74 %). Cette dernière catégorie s’expliquerait par le fait que le Ministère veut inciter les spécialistes visés à rester en établissement plutôt que d’aller en clinique.

Pour l’ensemble des 239 actes des spécialistes, la bonification serait de seulement 0,2 % à 4,2 %, avance le VG, loin de l’historique 35 %.

Quoi qu’il en soit, les frais accordés aux médecins sont un véritable fouillis, qu’ils soient payés par la RAMQ ou par les patients. Et maintenant que le ministre se dit convaincu que le Québec a rattrapé les autres provinces en matière de rémunération des médecins – à la suite de mon enquête sur le sujet –, il souhaite que les médecins cessent de facturer des frais aux patients, contrairement à son intention exprimée l’an dernier.

Il reste à espérer que les changements n’inciteront pas certains médecins à fermer leurs cliniques pour ne plus offrir leurs services qu’à l’hôpital, où l’attente est beaucoup plus longue…

(1) Le cumul des frais annuels des 14 actes varie entre 9,9 et 18,1 millions, pour un point milieu de 14 millions.

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