Renégociation de l’ALENA

Au tournant de Montréal

Les négociations en vue de renouveler l’Accord de libre-échange nord-américain redémarrent dans 10 jours à Montréal. Amèneront-elles enfin un déblocage ? Il le faudra, car l’incertitude qui pèse sur l’avenir de l’ALENA est franchement malsaine.

On l’a vu cette semaine lorsque l’agence Reuters a affirmé que le Canada était de plus en plus convaincu que le président Trump allait bientôt annoncer son retrait de l’accord. La dépêche, qui reposait sur deux sources gouvernementales canadiennes non identifiées, a été promptement recadrée à Ottawa comme à Washington, mais l’affolement temporaire des marchés montre à quel point la situation est inflammable.

Si les négociateurs semblent assez avancés sur des chapitres qui, pour reprendre l’expression de la ministre des Affaires étrangères, sont le pain et le beurre du commerce, les gros enjeux qui font obstacle au renouvellement de l’accord ne semblent pas avoir bougé d’un pouce.

« Nous avons réfléchi de façon créative et nous avons de nouvelles idées dont nous avons hâte de discuter avec nos interlocuteurs américains et mexicains », a assuré la ministre Chrystia Freeland en conférence de presse jeudi.

Est-ce que cela réussira à débloquer l’impasse sur les exigences américaines les plus problématiques, comme les règles d’origine dans le secteur automobile, ou cette absurde disposition-couperet (sunset clause) qui menacerait la survie de l’accord à tous les cinq ans ? On se le souhaite, car les énormes efforts déployés par le Canada tardent à donner des résultats. Malgré les centaines d’élus américains rencontrés, et la démonstration éclatante des millions d’emplois et des milliards de revenus qui, chez eux, dépendent du commerce avec le Canada, Washington continue de se donner des airs courroucés.

Non seulement le président Trump et son représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, gardent les sourcils froncés, mais le département du Commerce frappe sans retenue. Bois d’œuvre, Bombardier, papier journal :  où cela s’arrêtera-t-il ?

C’est dans ce contexte qu’il faut voir la demande déposée par le Canada devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) cette semaine. Il s’en est évidemment trouvé pour critiquer ce geste susceptible d’indisposer les Américains, mais quand une stratégie ne donne pas de résultats, il faut essayer autre chose. En montrant en quoi le processus de règlement des différends américain contrevient aux règles de l’OMC, le Canada rappelle l’importance du mécanisme indépendant prévu au chapitre 19 de l’ALENA, que les Américains rêvent de voir disparaître. « C’est un message clair au public et aux États-Unis que le Canada est sérieux sur le chapitre 19 et qu’il n’y a pas de recul possible là-dessus », souligne Eric Miller, président de la firme Rideau Potomac Strategy Group à Washington.

Le président Trump, qui a maintes fois menacé de mettre fin à l’accord pour le renégocier à l’avantage des États-Unis, s’est montré plus conciliant cette semaine, disant être prêt à se montrer flexible à cause des élections mexicaines prévues en juillet. C’était jeudi, dans une entrevue au Wall Street Journal. Qu’est-ce que ce sera la semaine prochaine, ou la suivante ? Allez savoir.

Certes, même si Donald Trump donne son fameux préavis de six mois, les États-Unis ne sortiront pas automatiquement de l’ALENA. Une chose est sûre, par contre : l’incertitude provoquée par un tel geste atteindrait un niveau stratosphérique.

La population, le gouvernement et les négociateurs du Canada sont capables de serrer les dents, mais pour les entreprises qui ont des décisions d’affaires à prendre, ce n’est pas si simple. En l’absence de garanties sur l’accès au marché américain, certaines jugeront plus raisonnable de retarder les investissements prévus ici, ou de les faire plutôt aux États-Unis. Dans un cas comme dans l’autre, ce serait désastreux pour l’économie canadienne. Il faut absolument éviter d’en arriver là.

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