Livre  David Suzuki

Léguer une Terre malade

Dans Lettres à mes petits-enfants, l’environnementaliste et scientifique David Suzuki, qui aura 80 ans en mars, s’adresse à ses six petits-enfants. Il leur raconte ses origines, sa vie, fait part de ses convictions, de ses réflexions et de quelques conseils. Entrevue avec David Suzuki, qui était de passage à Montréal cette semaine pour présenter son nouveau livre.

Des collègues scientifiques croient que la dégradation actuelle de l’environnement est telle que l’espèce humaine s’éteindra avant la fin du siècle actuel. Selon vous, vos petits-enfants auront-ils la chance d’avoir eux-mêmes des petits-enfants ?

C’est une grande question et je ne serai pas là pour voir. Mais quand mes collègues disent qu’il est trop tard, qu’on est allés trop loin dans le mauvais sens et qu’on ne peut rien faire, je leur dis : dites qu’il est tard, mais pas qu’il est trop tard, parce que les gens vont baisser les bras. La crise actuelle est urgente, mais nous ne pouvons pas dire qu’il est trop tard parce qu’il faut se battre jusqu’à la fin.

Quelle est la plus grande menace actuelle ?

On me demande souvent s’il s’agit des changements climatiques, de l’acidification des océans, de la pollution, de la surpopulation… Ce sont tous des aspects importants et je ne sais pas lequel l’est davantage, bien qu’on parle beaucoup du climat. Mais la cause du problème, on la connaît : c’est la façon de voir le monde. Si l’on maintient cette vision selon laquelle l’économie doit toujours continuer de croître et qu’il doit y avoir toujours plus de technologie, si on ne se dit pas que notre santé et notre bien-être dépendent de la qualité de l’air et de l’eau, nous resterons très destructeurs.

Vous avez dit ne pas entretenir de grands espoirs envers les lendemains de la Conférence de Paris de 2015 sur le climat (qui aura lieu cet automne), parce que les 195 pays présents viendront tous défendre leur propre programme. Quelle est la solution, alors, à la crise actuelle ?

Tout ce que j’ai, c’est l’espoir. L’encyclique du pape était complètement inattendue et c’est un document très puissant [le pape François y reconnaît le réchauffement climatique et appelle le monde à une « conversion écologique » radicale]. Quelle influence aura-t-elle ? Je ne le sais pas, mais c’est clair qu’elle a eu un impact. Je ne sais pas ce qui arrivera à Paris, mais j’espère que ce sera de bonnes choses. La Chine et les États-Unis se sont unis pour dire qu’il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre et c’est bon signe. La question est de savoir si nous réduirons assez rapidement nos émissions. La position du Canada est de le faire d’ici à 2100, ce qui est beaucoup trop tard.

Vous ne semblez pas entretenir de grands espoirs envers le gouvernement Harper…

Absolument pas ! Selon moi, ce que Harper a fait est criminel.

Quelle est sa plus grande erreur sur le plan de l’environnement ?

Il y en a plusieurs, mais il a totalement ignoré la réalité des changements climatiques parce que son programme était de faire du Canada une superpuissance du pétrole. Regardez ce qui arrive quand on fait cela et que les prix du pétrole s’effondrent : on se fait avoir ! C’est un programme fou, mais Harper a étouffé la science, muselé les scientifiques, ignoré ce qu’ils publiaient. Il ne veut aucune opposition. Il a cassé les lois qui protégeaient nos cours d’eau simplement pour permettre aux pipelines de les traverser.

Pour revenir à votre livre, les lettres qu’il contient s’adressent à vos petits-enfants (qui ont de 1 à 24 ans). Pourquoi les rendre publiques ?

Parce que j’espère que les gens qui vont le lire vont avoir envie d’écrire leurs propres lettres. C’est un défi que je lance aux aînés, de penser à leur vie, à ce qu’ils ont appris et à ce qu’ils veulent léguer à leurs petits-enfants.

Vous écrivez dans votre livre que le souvenir de vos parents va disparaître lorsque vos enfants vont mourir. Avez-vous peur d’être vous aussi oublié ?

Non. Ma mère était la personne la plus gentille et la plus travaillante que j’ai connue. C’était une personne formidable. Quand mes enfants vont mourir, elle va disparaître, comme ç’a été le cas pour 99,9 % des gens qui ont vécu. Pourquoi m’attendre à quelque chose de plus ? La célébrité, ce n’est rien, vraiment rien.

QUELQUES CONSEILS

Si David Suzuki avait un grand conseil à donner à ses petits-enfants, ce serait de vivre de façon réfléchie, c’est-à-dire : 

• tenir compte du contexte dans lequel s’insèrent les objets qu’on est sur le point d’acheter ;

• prêter attention à ce qui nous rend heureux (pour vrai) ;

• s’engager de façon active pour que la démocratie fonctionne comme elle le devrait ;

• ralentir ;

• être bon et généreux envers les autres ;

• quand on est parent, passer autant de temps possible à l’extérieur avec ses enfants ;

• penser à sa vie et à ce qu’on souhaite en faire.

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