En équipe, on en parle

Un mouvement vise la responsabilisation des joueurs face aux commotions cérébrales

En 2007, Matthieu Proulx a subi l’une de ses commotions cérébrales. Il ne l’a pas su sur le coup, il l’a compris plus tard. Sa tête a frappé le genou d’un rival, il y a eu le fameux « flash ». Il avait mal à la tête, la lumière l’incommodait, les symptômes classiques.

Un quart d’heure plus tard, il était de retour sur le terrain… avec une visière teintée.

Personne ne l’avait aidé. Et lui-même n’a jamais cherché à l’époque à convaincre un joueur de quitter le terrain après un impact grave. C’était la mentalité d’alors, la culture du guerrier. 

« Ça donne une idée de la façon dont c’était traité. Je parle de 2007, ça fait 11 ans. Certains diront que ça fait longtemps, mais pas tant que ça. C’est autour de 2010 que tout a éclaté, mais avant, quelqu’un qui revenait au jeu après avoir été sonné, c’était tout à fait normal. Avec ce qu’on sait aujourd’hui, il faut arrêter de jouer à l’autruche et réaliser qu’il y a des risques associés à ça. »

Cette culture du guerrier refuse de disparaître complètement et Proulx s’y attaque désormais à titre de porte-parole de l’initiative « En équipe, on en parle ». 

Le mouvement est né aux États-Unis grâce aux efforts de la Concussion Legacy Foundation, menée par l’ancien footballeur devenu lutteur Chris Nowitzky. Il s’est répandu au Canada anglais avec Tim Fleiszer, lui-même ancien joueur de la LCF et coéquipier de Nowitzky à Harvard. Le voici maintenant au Québec.

Proulx explique les grandes lignes. L’objectif, en gros, est de se tourner vers les joueurs pour enrayer le fléau. Il vise surtout le sport amateur, qui n’a pas accès à toutes les ressources du sport professionnel.

« L’idée, c’est de le dire quand tu vois quelqu’un en détresse, ou qui a possiblement des symptômes de commotion, pour l’aider. Il y a trois points d’emphase. Un, en équipe, on se protège et on est là l’un pour l’autre. Deux, quand quelqu’un a une commotion, il a besoin d’aide. Trois, un bon coéquipier, il le dit. S’il pense qu’un coéquipier a besoin d’aide, il va le dire à quelqu’un en position d’autorité. »

La journée de sensibilisation est prévue pour le 12 septembre. À cette occasion, l’initiative « En équipe, on en parle » encourage chaque équipe, tous sports confondus, à se choisir un leader qui prendra la parole. « Que ce soit un capitaine, un entraîneur, des gens de toutes sortes qui ont le respect de leurs pairs, qu’ils fassent un discours à leur équipe. En disant ce que je viens de dire. On est ensemble, on est une équipe, on se tient. Si vous voyez quelqu’un en détresse, dites-le. »

Pour faire bouger

Dans son expansion québécoise, la Concussion Legacy Foundation s’est aussi adjoint les services du Bouclier Prévention et de son passionné fondateur, Simon Poulin. Ensemble, ils ont lancé le projet « Avec toute ma tête », dont la raison d’être est de propager au plus grand nombre les stratégies de prévention des traumatismes crâniens.

Le projet est né à Québec, avec la collaboration du milieu universitaire. Plus de 100 activités de prévention des commotions seront organisées d’ici à la fin de l’hiver 2019.

« Les jeunes qui bougent au Québec, ils se font brasser, et personne n’est là pour remarquer qu’ils sont blessés. La démarche veut redonner le pouvoir à tout un chacun dans la communauté, à devenir plus éduqués et informés pour reconnaître les blessures à la tête. »

— Simon Poulin, fondateur et directeur du Bouclier Prévention

Poulin a lui-même un parcours qui mérite attention. Il a placé toute son énergie dans la prévention des blessures à la tête quand son propre fils, à 18 ans, est devenu paraplégique à la suite d’un accident de planche à neige. Depuis, il tente de sensibiliser tous les intervenants, à tous les niveaux, de toutes les manières possibles. Même s’il s’est parfois retrouvé à prêcher dans le désert, comme ce soir à Magog l’hiver dernier où sa conférence a attiré… un seul parent. 

« Il est où, le parent ? Il s’est déresponsabilisé et il ne se sent pas interpellé. Quand ça fait trois semaines que son jeune a mal à la tête, là par exemple, il court après les médecins. Quand on lui demande de venir une heure s’éduquer sur les commotions, il n’est pas là. On doit donc réfléchir à de nouveaux moyens de rejoindre la communauté et les parents pour que le message passe. »

Poulin se réjouit de voir l’implication de l’Université Laval. Le DPierre Frémont, de la faculté de médecine, spécialiste des commotions, a créé une formation en ligne offerte à tous, intitulée « Commotion cérébrale : prévention, détection et gestion dans mon milieu ». Les étudiants de marketing et de communications travailleront aussi à la stratégie de diffusion.

Déception

Il y a aussi dans ces initiatives une certaine déception devant la vitesse du changement des mentalités. Proulx est un apôtre de la patience, malgré tout. Il a longtemps cru que les grandes ligues allaient montrer l’exemple et tirer tout le monde vers le haut. Il a fini par conclure qu’au contraire, tout le monde devait apporter sa contribution.

Lui-même était membre en 2015, avec le DFrémont d’ailleurs, d’un groupe de travail gouvernemental qui a accouché d’un rapport d’une quarantaine de recommandations. 

« Le protocole a été créé et il est disponible pour tous les gens dans le sport amateur qui veulent en avoir un. L’idée était de créer un protocole centralisé du gouvernement qui pouvait être utilisé par des gens qui n’en avaient pas. Il est sur le site du Ministère, il est complet, il est explicatif, on voit bien comment l’appliquer. Le rapport n’a pas été tabletté. Ça a pris du temps, comme n’importe quel changement de culture. Mais ce n’est pas un sujet qui vend des journaux, qui gagne des votes. »

Poulin, lui, voit très grand, et très vite. Il se bute pour l’instant à des portes closes dans sa volonté qu’une heure de classe, dans le cours d’éducation physique, soit consacrée à la prévention des blessures à la tête.

« Que le Ministère n’ait rien mis sur pied de tangible autre que des affiches avec des émoticônes, que ça niaise pour des virgules, je ne suis pas de bonne humeur avec ça. […] On a besoin de temps de classe. C’est un défi d’aller voir tous les jeunes. »

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