LA PRESSE EN FRANCE

Aux petits soins

LA ROCHE-RIGAULT, France — Assis à une large table, Raymond couve Marguerite du regard.

Marié depuis 70 ans, le couple s’est installé il y a tout juste un an dans une maison d’accueil familial, à La Roche-Rigault, hameau de 600 âmes.

Quel âge ont-ils ? « J’ai 85 ans », répond sans hésiter l’ancien agriculteur et employé municipal, avant de se reprendre. « Ah non, en fait, j’aurai bientôt 95 ans. »

L’œil rieur, Raymond garde le sourire pendant que l’on boit le café autour de lui. Dans le jardin, que l’on voit de la fenêtre du salon, on aperçoit un large cerisier en fleur.

À 95 ans, Raymond a un début de maladie d’Alzheimer. Tout comme sa femme, Marguerite, 91 ans. Le couple est resté le plus longtemps possible chez lui, avant de s’épuiser. Leurs enfants se sont décidés à placer leurs parents, mais ils ont opté pour maison d’accueil familial, une structure à taille humaine, qui limite à trois le nombre de ses locataires.

« Oh, on est bien ici ! On est encore un peu chez soi. On fait des petites bricoles. On se trouve très bien », dit Raymond qui se laisse parfois aller, l’après-midi, à entonner quelques chansons populaires de Tino Rossi.

SOINS

Aménagée dans une ancienne école primaire, la maison d’accueil familial est une large bâtisse de pierres blanches percée de grandes fenêtres. Ici, chaque aîné a sa chambre, une pièce d’environ 20 m2, et sa salle de bain, au rez-de-chaussée.

Raymond et Marguerite sont arrivés avec leurs photos et souvenirs, et quelques meubles. Ils ont installé leur salon dans l’une de leurs chambres et dorment dans des lits jumeaux dans l’autre. Une octogénaire discrète s’est installée il y a peu dans la troisième chambre.

La maîtresse de maison, c’est Corinne Bruneau, 43 ans, une chaleureuse brune, qui vit dans un appartement à l’étage, avec son mari et son fils de 12 ans.

Le quotidien se partage avec la famille de Corinne, et les trois aînés. Tous les repas sont préparés ici, et l’on mange en famille dans les espaces communs : une vaste cuisine tout équipée, un salon-salle à manger.

« Tout le monde prend soin les uns des autres, il y a un véritable échange », estime Corinne Bruneau, qui a été aide-soignante et garde-malade avant de choisir de devenir « accueillante ».

JARDINAGE ET ALZHEIMER

Ici, les jours se passent au gré des envies des uns et des autres. Corinne veille au bien-être de ceux qu’on appelle ses « accueillis ». Elle aide les aînés à se lever et se coucher, à faire leur toilette, à accomplir des petits gestes du quotidien. Tous se joignent aux activités de la maison, selon leurs capacités et leurs envies.

Le jardin – ensoleillé en ce matin de printemps – est ouvert à tous.

« On a des poules, des cailles et des lapins », montre Corinne Bruneau, qui rêve d’installer un potager surélevé dans le jardin, afin que Raymond puisse jardiner. Marguerite va mieux depuis son arrivée, dit Corinne. « C’est étonnant, mais la maladie [d’Alzheimer] régresse », observe-t-elle.

PATRIMOINE

À l’instar de quatre villages voisins, La Roche-Rigault s’est lancé dans la création de maisons d’accueil familial. Ainsi, dans cette région rurale et vallonnée, située tout près du Val-de-Loire et de ses célèbres châteaux, sept maisons ont été ouvertes en deux ans.

Certaines sont neuves, d’autres ont été aménagées dans une ancienne école ou dans un presbytère. Le patrimoine municipal trouve ainsi une nouvelle vocation.

« Quand on nous a dit : “L’école ferme, vous pouvez la vendre ou valoriser le patrimoine”, on n’a pas trop hésité, explique le maire de La Roche-Rigault, James Garault. Il y a une grande cour où les gens peuvent se déplacer, les gens peuvent faire du jardinage. Ça nous permet en plus de créer un emploi. Et dans nos régions, un emploi, c’est important. »

HYBRIDE

En France, les personnes âgées sont encouragées à rester chez elles, grâce à des aides à domicile fournies par l’État. Il existe aussi des maisons de retraite classiques, des établissements semblables aux CHSLD (appelés EHPAD, dans le jargon administratif français).

L’accueil de personnes âgées à domicile, à l’image de ce qui se fait avec les enfants, est toutefois un mode d’hébergement de plus en plus prisé. Dans la Vienne, notamment, une centaine de personnes sont habilitées à héberger chez elles, au sein de leurs familles, trois aînés au maximum.

Mais à l’image de La Roche-Rigault, des villages encouragés par le département ont choisi de mettre en place eux-mêmes des maisons d’accueil, gérées par les élus municipaux et une structure médico-sociale indépendante, un groupement de coopération médico-sociale (GCMS). C’est une initiative assez unique en France.

« Chez les particuliers, il y avait du bon et du moins bon. On est partis de cette idée, mais on a construit des locaux en bonne et due forme, où chaque chambre a son sanitaire complet. On a mis ça à la disposition de personnes qui voulaient se lancer dans l’accueil, explique Jacques Varennes, administrateur du GCMS. On réhabilite le patrimoine, on offre aux personnes âgées un accueil de proximité et on crée en plus des emplois. »

Les maisons d’accueil familial sont ouvertes aux personnes âgées plus ou moins dépendantes, mais aussi aux adultes handicapés. L’idée est de vivre au maximum comme à la maison. Ainsi, les petits gestes du quotidien sont encouragés, mais on ne retrouve pas nécessairement d’activités de groupe.

« Il se fait [dans les maisons de retraite] des choses très bien, mais un peu artificielles. Se dire que le nec plus ultra des animations », c’est la poterie, soupire M. Varennes…

« Notre idée, c’est d’explorer ce que les personnes faisaient avant, dans la mesure du possible, et de les aider à conserver quelques activités en participant par exemple aux tâches. On se méfie vraiment de l’inactivité totale. » — Jacques Varennes, administrateur de GCMS

ACCROCHAGES

Bien entendu, tout n’est pas rose. Dans la Vienne, on ne dira pas que les Maisons d’accueil familial sont une solution sans défaut. Ainsi, des « accueillantes » ont eu du mal à tenir la cadence. Des aînés s’adaptent mal à la vie en commun. Des conflits peuvent survenir à tout moment.

Jacques Varennes ne le cache pas : les accrochages existent, et il faut, dans chaque maison, cultiver un équilibre fragile et délicat.

« On ne travaille pas avec des boîtes de conserve, mais avec de l’humain », illustre M. Varennes.

Mais dans ce petit coin de la France rurale, on essaie ici de vieillir dans la dignité. Un aîné à la fois.

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