CHRONIQUE ENSEIGNEMENT DE L’ANGLAIS

Le fruit de l’apathie

Le Québec récolte aujourd’hui le fruit vénéneux d’une longue incurie : celle de ses gouvernements successifs qui ne se sont jamais préoccupés sérieusement d’améliorer l’enseignement de l’anglais comme langue seconde.

Résultat : selon un récent sondage Léger, une majorité (53 %) de Québécois francophones veulent avoir le droit d’inscrire leurs enfants à l’école anglaise au primaire et au secondaire, au risque de les angliciser pour la vie et d’éviscérer la loi 101… à laquelle ils se disent par ailleurs attachés ! Il faut croire qu’on ne s’embarrasse pas de contradictions quand il s’agit de l’intérêt de ses enfants.

Oubliez la langue des affiches et des boutiques, c’est l’intégration scolaire des enfants d’immigrants qui constitue le volet essentiel de la loi 101. Or, il va de soi que la même obligation doit être imposée aux francophones de souche !

N’importe. Ce désir têtu d’envoyer ses enfants faire leur primaire et leur secondaire en anglais, tout comme la ruée des francophones vers les cégeps anglais, illustre le désarroi des familles qui ont perdu espoir dans la capacité des écoles françaises à enseigner correctement l’anglais langue seconde (l’anglais L2).

Les gouvernements ne sont pas seuls responsables de ce gâchis. Les commissions scolaires et les syndicats d’enseignement doivent eux aussi faire leur mea-culpa.

En effet, comment expliquer que dans une province où coexistent deux grands réseaux scolaires linguistiques, l’on n’ait jamais établi un système d’échange entre commissions scolaires, de manière à ce que l’enseignement de l’anglais, dans les écoles françaises, soit assumé, au moins en partie, par des enseignants de langue maternelle anglaise ?

Le Québec était dans une situation idéale pour promouvoir l’enseignement des langues secondes. La main-d’œuvre était là, sur place, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des pays, qui doivent « importer » des enseignants s’ils tiennent à avoir des native speakers capables de transmettre aux élèves le bon accent et les divers niveaux de langue.

On aurait pu faire en sorte, par exemple, qu’un enseignant d’anglais langue première (L1) travaillant dans une école anglaise de Baie-Comeau soit détaché pour enseigner l’anglais dans une école française de la même ville, un enseignant de français L1 faisant le chemin inverse pour enseigner le français à des élèves anglophones. Les écoles françaises des régions peu exposées à l’anglais auraient pu aussi recruter, par rotation, des enseignants anglophones montréalais… qui, eux, auraient profité de ces stages pour perfectionner leur français.

Faut-il vraiment avoir un diplôme de L2 pour enseigner intelligemment la langue seconde à des élèves du secondaire ? Un bon enseignant d’anglais ou de français L1 est parfaitement capable de le faire.

Hélas, le corporatisme, la bureaucratie, l’apathie et une conception étriquée du nationalisme ont empêché le Québec de tirer profit de la présence, sur le même territoire, de centaines d’enseignants de langue maternelle anglaise.

Même sans échange d’enseignants, les écoles anglaises ont trouvé le moyen de faire apprendre le français à leurs élèves, par le processus d’immersion ou par des méthodes plus classiques. Serait-ce qu’il y avait là une motivation qui faisait défaut au réseau francophone ?

À défaut d’avoir pu suivre des cours d’anglais de qualité à l’école, nombre de jeunes francophones se ruent sur les cégeps anglais. On ne peut certainement pas les en blâmer. Même le Parti québécois n’a jamais osé leur barrer la voie.

Cette incurie est impardonnable et ferait du Québec la risée du monde si la chose était connue : un îlot français dans une mer anglophone dont la plupart des habitants connaissent à peine l’anglais ! Alors que toute l’Europe du Nord parle anglais couramment depuis des générations et que même les Français s’y mettent (avec une frénésie qui confine au ridicule, mais c’est un autre problème) !

La première femme de l’un de mes proches était norvégienne. Elle venait du fond d’un bled où les chemins n’étaient même pas asphaltés. À 15 ans, elle parlait anglais couramment. Elle l’avait appris à l’école du village, avec des enseignants norvégiens qui n’avaient jamais vu un Anglais de leur vie, mais qui avaient appris la langue assez bien pour l’enseigner. C’était il y a 50 ans.

Au Viêtnam, où le contentieux par rapport aux Américains a tout de même été plus dramatique que nos propres griefs historiques contre « les Anglais », les élèves des écoles publiques apprennent l’anglais à partir de 4 ans.

La passivité du Québec, à ce chapitre, est une anomalie.

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