Grande entrevue

La grande (auto)séduction

Pour la première fois en 12 ans, Dany Turcotte profite de l’été. Séjours à la campagne, moments en famille et coprésidence d’honneur de Fierté Montréal composent son programme. À 53 ans, l’humoriste et animateur reprend son souffle. Conversation avec un gars qui, entre deux éclats de rire, ne craint pas d’être grave.

J’avais donné rendez-vous à Dany Turcotte sur la terrasse du Renard, en plein cœur du Village. Son arrivée n’est pas passée inaperçue. Celui qui s’est fait connaître par son rôle du très mystique Dany Verveine, avant de séduire des centaines de villes et villages et d’officier à Tout le monde en parle en tant que fou du roi, est aimé de tous. Pour la communauté gaie, il est même passé au stade de héros.

Dany Turcotte est l’une des rares personnalités québécoises qui utilisent leur notoriété pour faire avancer la cause des communautés LGBTQ2. « J’espère que cet acronyme va un jour s’allonger sur un kilomètre, ça voudra dire que nous serons plus inclusifs », me dit-il en commandant un Perrier-citron.

Dany Turcotte connaît bien le Village, ce quartier qui aurait « besoin d’un coup de barre », selon lui. Il le fréquente depuis longtemps, bien avant ce fameux coming out survenu un certain dimanche soir de 2005 devant les centaines de milliers de téléspectateurs de Tout le monde en parle.

« Je n’avais plus le choix. Tu ne peux pas occuper ce rôle et être muselé par des invités qui savent que tu es homosexuel et qui veulent se servir de cela pour t’attaquer. »

Avant ce coming out « grand public », Dany Turcotte avait répété la scène devant ses proches alors qu’il avait 17 ans.

« Ça s’est passé durant le temps des fêtes. J’étais chaud et je me suis mis à pleurer devant la famille élargie. Je lui ai dit que j’étais gai. Ce fut un très beau party. »

— Dany Turcotte

Contrairement à certains qui croient que l’homosexualité n’est plus un problème et que toutes les luttes ont été menées, Dany Turcotte pense qu’il y a encore beaucoup à faire. « Avant les médias sociaux, on avait l’impression de vivre dans une société évoluée. Quand on lit les commentaires, on se rend compte que ce n’est pas du tout le cas. »

Régulièrement à Tout le monde en parle, Dany Turcotte aborde le sujet de l’homosexualité. Pour lui, c’est important de le faire, même s’il doit parfois en payer le prix. « On m’attaque souvent au sujet de cela. Ces messages sont souvent écrits sous l’influence de l’alcool. Ce n’est pas grave. »

Parmi les luttes qui sont présentement à mener, il y a celle qui touche les aînés homosexuels. Un dossier de la Fondation Émergence a sensibilisé Dany Turcotte à cette cruelle réalité. « Ma sœur, qui travaille avec les personnes âgées, m’a raconté l’histoire d’un monsieur dont on se moquait. Des femmes passaient devant lui et faisaient des gestes maniérés pour rire de lui. C’était rendu que le pauvre monsieur ne parlait plus, il s’isolait, il mangeait tout seul dans son coin. Il se faisait intimider comme les jeunes à l’école. Bref, des gens qui se sont battus toute leur vie pour défendre leurs droits et sortir du placard y retournent une fois vieux. C’est effrayant ! Ça me bouleverse, ces histoires. »

LES POLITICIENS ET LE DÉFILÉ GAI

Dany Turcotte sera donc présent durant la semaine de Fierté Montréal. On le verra durant la journée communautaire et au fameux défilé, un événement qu’il n’a pas toujours apprécié.

« Tu sais, les gais ont aussi des préjugés sur les gais. Mais une année, je me suis assis sur une terrasse après le défilé et j’ai regardé les gens passer. J’ai vu des gens qui ne sortaient jamais de chez eux et qui étaient heureux. Cette fois-là, j’ai compris le sens du mot “fierté”. »

Cette année, Dany Turcotte sera dans le défilé en tant que coprésident d’honneur. Il a toutefois déjà participé à l’événement de son propre chef. « C’est là que j’ai réalisé que les politiciens qui y participent foutent le camp au bout de 10 minutes après les photos et les images prises par les caméramans. On va se le dire, ils viennent profiter d’une cause sociale très populaire pour se faire du capital politique. Cette année, ils vont peut-être rester plus longtemps, c’est une année électorale. »

Dany Turcotte ne craint pas de nommer ce qu’il fait aujourd’hui. « Oui, c’est du militantisme. Tout cela, c’est à cause de Laurent McCutcheon. Il est l’un de mes mentors. C’est lui qui m’a appris l’histoire et la lutte des homosexuels. Il m’a brainwashé, dit-il en rigolant. J’ai réalisé qu’en étant totalement moi-même, je pouvais changer des choses. »

Qu’il s’agisse de Gai Écoute, de Care Canada (il a escaladé le Kilimandjaro en 2006 pour la cause) ou de Dystrophie musculaire Canada au Saguenay–Lac-Saint-Jean (il en a été le porte-parole pendant 10 ans), Dany Turcotte vient puiser dans ces expériences une énergie qu’il ne trouve pas ailleurs. « J’avais 13 ans et je faisais partie du conseil d’administration de Centraide à Jonquière. Endosser des causes donne un sens à ma vie. »

LA DIFFICILE ABSENCE DE DOMINIQUE LÉVESQUE

Quand on évoque le nom de Dany Turcotte, celui de Dominique Lévesque émerge tout de suite. Après la dissolution du Groupe Sanguin en 1990, Émile Gaudreault s’est dirigé vers le cinéma et Marie-Lise Pilote a créé son premier one-woman show. Quant à Turcotte et Lévesque, ils ont formé un tandem qui, pendant de nombreuses années, a enchaîné de longues tournées au Québec. Après 30 ans d’amitié, la mort subite de Dominique Lévesque, en décembre 2015, a laissé un grand vide dans la vie de Dany Turcotte.

« Je rêve à lui presque toutes les nuits. En fait, trois morts viennent me dire bonjour : mon père, Dominique et mon ancien chum. Avec Dominique, les rêves sont toujours agréables. On monte des shows, on discute. »

— Dany Turcotte

Dominique Lévesque et Dany Turcotte partageaient le même duplex. Dany occupait le rez-de-chaussée et Dominique, l’étage au-dessus. « Dominique avait des nuits actives. Il regardait des films, il jouait à des jeux. En 20 ans, j’ai dû changer l’emplacement de ma chambre à coucher plusieurs fois à cause de lui », raconte-t-il en souriant.

Après la mort de Dominique Lévesque, Dany Turcotte a acheté un condo à Griffintown. Il a emporté les cendres de son ami avec lui. « Je vais les mettre sous un arbre que je vais bientôt planter. Je suis à chercher l’arbre qui lui ressemble le plus. Peut-être une espèce qui pousse très vite et qui meurt jeune… »

Deux jours après la mort de Dominique Lévesque, Dany Turcotte a appris celle d’André, son ex-conjoint. « Nous avons été ensemble pendant 17 ans. Il a eu un accident pendant que j’étais avec lui. Il vivait en fauteuil roulant. Nous n’étions plus ensemble depuis une dizaine d’années. Ces deux morts quasi simultanées, ça brasse la cage. Ça te fait réaliser que la vie est courte. Je me pose des questions sur ce que j’ai envie de faire. Je suis un jouisseur, j’aime profiter de la vie. Je n’ai pas honte de le dire, je suis à l’aise financièrement et je pourrais ne pas travailler. Mais j’ai encore le goût de faire des choses. »

UN ONE-MAN SHOW

Sur l’ordinateur de Dany Turcotte, un fichier a récemment été créé. L’humoriste y rassemble des idées en vue d’un éventuel one-man show. « Pour le moment, je prends des notes. Je regarde ce qui se passe en humour actuellement, je trouve que les choses ont beaucoup changé. Il n’y a plus de personnages, c’est juste du stand-up à l’américaine. Moi, j’ai surtout créé des personnages. En même temps, si je me présente devant le public, on va les réclamer. Je vais devoir les faire. C’est comme si Michel Louvain faisait un spectacle et qu’il ne faisait pas La dame en bleu. »

Après 12 ans à l’animation de La petite séduction et la visite de 236 villes et villages, Dany Turcotte s’offre un moment de répit. Cette période libre a failli être compromise par des offres qui sont venues rapidement. On lui a proposé des participations à des galas d’humour et un premier rôle au théâtre. « Il y avait 45 pages de texte à apprendre. C’était un trop gros défi pour moi. J’aimerais cependant jouer dans une télésérie. »

Tout en profitant de l’été, il songe doucement à son retour pour une 15e saison à Tout le monde en parle. Le fou du roi reconnaît qu’il s’est adouci au fil des saisons. « J’ai revu les premières émissions, ça n’avait pas de bon sens. Des fois, tu es mieux de laisser la personne se faire la job elle-même plutôt que de lui balancer des questions trop tough. De toute façon, quand tu es trop tough, tu dois gérer une crise pendant six jours sur les réseaux sociaux. »

En attendant le retour de Tout le monde en parle, prévu le 23 septembre, Dany Turcotte a bien l’intention de profiter de son été. « Je lis [il venait de terminer la lecture de N’essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell], je cuisine, je nage, je suis allé en Grèce, je suis allé voir ma famille et je vais bientôt la recevoir dans ma maison de Magog. Bref, cet été, je me séduis moi-même. »

Fierté Montréal

Fierté Montréal aura lieu du 10 au 19 août. Les grands spectacles seront présentés dans le parc des Faubourgs. La Journée communautaire aura lieu le 18 août dans la rue Sainte-Catherine Est. Le défilé se déroulera sur le boulevard René-Lévesque le 19 août. Dany Turcotte fait partie des sept coprésidents(e)s d’honneur de l’événement.

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