Chronique

« Il faut changer la loi »

Quand le président du Collège des médecins trouve que l’inconduite sexuelle n’est pas punie assez sévèrement, c’est que, vraiment, l’heure est grave.

« Quand je parle de tolérance zéro, je suis sérieux, affirme le Dr Charles Bernard. Il nous faut une règle comme en Ontario. Quand un médecin est déclaré coupable d’inconduite sexuelle, son permis est carrément révoqué. Il n’est pas radié : il perd son permis. Et c’est seulement cinq ans plus tard qu’il peut demander d’être réadmis. En 2015, sept médecins ontariens ont perdu leur droit de pratique. C’était deux en 2014. »

Et entre 2007 et 2012, il y en a eu 14.

Une « inconduite » n’est pas forcément une « agression », qui peut vous emmener en cour criminelle. Des relations sexuelles avec une patiente par un médecin traitant sont une inconduite. Il y a abus de la relation de confiance et d’autorité et, très souvent, la patiente est dans un état fragile.

En principe, la chose est tout aussi contraire aux règles déontologiques québécoises. Sauf que les sanctions ici sont une blague.

L’exemple que je citais samedi n’est que la confirmation d’une longue tradition de complaisance et d’insignifiance dans les sanctions contre les médecins du Québec.

Plusieurs m’ont écrit que « les médecins se protègent entre eux ». Pas vraiment.

En réalité, plusieurs médecins plaident pour une plus grande sévérité, le président du Collège en premier. Mais le système mis en place est incapable d’évoluer, faussement prisonnier d’une longue jurisprudence de clémence et de petites tapes sur les doigts.

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Comment se fait-il que le président du Collège des médecins se choque contre ces sanctions et que rien ne change ?

En février 2013, donc il y a trois ans et demi, le Dr Bernard avait éreinté sérieusement le bureau du syndic de son propre ordre professionnel, pour sa mollesse.

Le syndic, gendarme de la déontologie, trouvait toujours le moyen de faire une entente à l’amiable, et une recommandation commune était faite au Conseil de discipline. Il ne restait plus qu’à entériner la recommandation, souvent de quelques mois à peine de radiation, même pour des gestes répétés auprès de plusieurs patientes avec des troubles mentaux.

Le syndic a changé. Le résultat est le même. On l’a vu pour le Dr Roger Hobden : condamné au criminel à neuf mois de prison avec sursis pour des attouchements sexuels sur une patiente de 17 ans, il n’a été condamné qu’à 15 mois de radiation. Il a avoué deux autres relations sexuelles avec des patientes majeures, mais dans le règlement, on n’a pas jugé bon d’ajouter à cette radiation pour cela.

Que se passe-t-il donc ? Qui est le patron, dans cet ordre professionnel ?

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Il se passe que le bureau du syndic est indépendant du bureau du président. Il ne peut recevoir d’ordre du président, il travaille confidentiellement.

La raison est simple : le président est élu par les membres. On a donc installé dans tous les ordres professionnels une cloison entre le « politique » et le déontologique, pour que le président n’intervienne pas pour protéger certains membres de son « club ».

Ironiquement, cette indépendance a fini par se retourner contre son but d’origine. On a développé une culture de la complaisance envers les médecins, qui ne fait pas du tout l’affaire de la direction du Collège.

Tout se passe comme si les syndics prenaient en pitié les pauvres docteurs qui abusent de leurs pouvoirs ou qui se servent de leur cabinet comme d’une agence de rencontre. Que va-t-il arriver de lui ? Un si bon docteur…

C’est la trame narrative de presque toutes les décisions du Conseil de discipline.

Toutes commencent en répétant à quel point la protection du public est importante, à quel point l’inconduite sexuelle est un abus terrible… et finissent en queue de poisson. Et toutes se réfèrent à la « sacro-sainte jurisprudence », comme dit le Dr Bernard. Le raisonnement est circulaire : ce que vous avez fait est grave, on devrait vous punir, mais par le passé, on n’a pas puni assez, donc on va suivre cette jurisprudence mollassonne.

Et quand le Conseil décide d’envoyer un message, et de rompre avec cette jurisprudence honteuse, c’est le Tribunal des professions lui-même qui lui fait des remontrances. Dans une décision particulièrement calamiteuse en 2013, le Tribunal a reproché au Conseil d’avoir infligé une radiation de seulement trois ans à un médecin qui avait couché avec entre trois et six patientes, en plus d’avoir de la porno juvénile dans son ordinateur. Le syndic recommandait deux mois ! Tut-tut-tut, a dit le Tribunal des professions : il fallait respecter la jurisprudence et la recommandation commune, vu que le syndic est là pour protéger le public. On a imposé deux mois. Le Tribunal des professions est composé de trois juges de la Cour du Québec, donc d’aucun « médecin qui protège les médecins ».

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C’est en fait le système juridique pogné dans le ciment déontologique qui protège les médecins.

D’où cet appel au président du Collège : il n’y a qu’une solution devant cette vaste indifférence. Changer la loi.

« J’ai donné des directives, le personnel a changé, mais on a encore le même problème. On poursuit les médecins même à la retraite, on suspend les résidents fautifs, c’est nouveau. Mais pour le reste, rien n’a changé. C’est pourquoi je veux rencontrer la ministre de la Justice [Stéphanie Vallée, responsable des ordres professionnels]. Il faut changer le Code des professions, pour instaurer l’équivalent de la règle ontarienne, qui devrait s’appliquer à tous les professionnels de la santé. »

C’est rare qu’une demande de plus grande sévérité vienne carrément d’un ordre professionnel. Il serait temps d’écouter le bon docteur Bernard…

Ah, au fait, sachez que le Dr Hobden, radié pour 15 mois du Collège des médecins, est aussi ostéopathe. Et comme il n’y a pas d’ordre professionnel des ostéopathes, il est libre de faire… de l’ostéopathie – dès qu’il aura le droit de sortir de chez lui après sa peine de prison à domicile.

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