OPINION

Il n'y a pas d'opposition entre soins palliatifs et aide médicale à mourir

Monsieur le président du Collège des médecins du Québec Charles Bernard, cher collègue, mercredi dernier, vous rendiez publique une lettre que vous adressiez au ministre Gaétan Barrette, lettre dans laquelle vous faisiez état d’un certain nombre d’interrogations dans le domaine des soins palliatifs (SP).

Certaines de vos questions nous apparaissent justifiées et pertinentes, mais d’autres affirmations auraient certainement mérité plus de nuances. De plus, vous avez eu la chance de préciser votre pensée lors d’une entrevue avec Anne-Marie Dussault à l’émission 24/60 cette même journée, mais cela ne s’est pas avéré.

Il est nécessaire en préambule de rappeler que c’est le Collège des médecins du Québec (CMQ), par la voix de votre prédécesseur, Yves Lamontagne qui, en 1999, a initié au Québec avec humanisme ce grand questionnement de l’aide médicale à mourir (AMM) face aux dommages collatéraux de la médecine technologique moderne.

Cette opposition entre soins palliatifs et aide médicale à mourir est depuis quelques mois le nouveau cheval de bataille des opposants à l’AMM : insinuer dans l’espace public que des malades demandent l’AMM parce qu’ils n’ont pas accès à des soins palliatifs de qualité.

Une telle lecture est tendancieuse et irrespectueuse des patients qui optent pour l’aide médicale à mourir pour entre autres les raisons suivantes.

• Environ 2 % des 65 000 morts au Québec ont bénéficié de l’AMM en 2016-2017 (chiffres disponibles). Il n’y aura jamais 98 % des malades restants qui auront accès à des SP, parce qu’un nombre significatif d’entre eux meurent d’autres causes : accidents, AVC, infarctus, morts subites, infections, complications postopératoires, démence, mort à domicile, etc.

• Certaines maisons de SP font de la sélection de patients : que des malades cancéreux avec un pronostic de moins de 2 mois ; pas de patients dont le niveau de conscience est altéré ; etc.

• Il n’y a absolument aucune opposition entre ces options de soins de fin de vie. Voir à ce propos la position de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD).

• Il est faux de prétendre que l’arrivée de l’AMM est responsable de la diminution du nombre de médecins en SP. Les SP perdent des médecins de famille exactement comme plusieurs autres secteurs d’activité médicale. Il faut entre autres en chercher la raison dans les exigences de productivité (volume) et de suivi médical en cabinet imposées aux médecins de famille par le ministre Barrette, exigences qui les poussent hors des établissements.

• Si les patients en fin de vie ont de la difficulté à trouver des médecins pour leur prodiguer l’AMM à laquelle ils ont droit s’ils satisfont les critères, c’est aussi en raison des dysfonctionnements dans la Commission des soins de fin de vie (CSFV).

• Une autre raison majeure de la difficulté à trouver des médecins est l’incohérence entre les lois québécoises et canadiennes et le jugement de la Cour suprême du Canada sur les critères et l’admissibilité des malades à l’AMM. Ce sont en fin de compte les malades qui en paient le prix par leurs souffrances.

• Selon les interventions faites lors du forum de mars 2018 sur l’AMM organisé par le Dr Yves Robert, DG du CMQ, il fut facile de se rendre compte que la vaste majorité des 150 médecins présents à ce forum sont des médecins de cœur pour qui il n’y a aucune opposition entre SP et AMM, et que notre rôle comme médecin est d’accompagner les humains en fin de vie, pas de leur opposer une posture morale, religieuse, intellectuelle ou autre. Je me dois de dire que le CMQ a toujours fait valoir la justesse de ce continuum.

Les affirmations des opposants à l’aide médicale à mourir sont irrespectueuses des patients en fin de vie qui demandent l’AMM pour de multiples raisons, sans prétendre être exhaustif.

• Des malades se suicident ou n’ont d’autres choix que de cesser l’alimentation et l’hydratation parce que leur demande légitime et réfléchie d’AMM est injustement refusée : voilà le vrai scandale.

• D’autres meurent en agonie après avoir fait une demande d’AMM, mais sans avoir jamais été évalués : voilà aussi le vrai scandale.

• Certains médecins idéologues et influents de SP sont toujours prompts à affirmer que les patients en fin de vie demandent l’AMM parce qu’ils n’ont pas accès à des SP de qualité ou qu’ils ne veulent pas vraiment d’AMM : quel irrespect pour l’humain souffrant qui, depuis des années (le plus souvent), subit une déchéance progressive, tel que lui le perçoit, par une maladie inéluctable ! Cette personne ne saurait pas vraiment ce qu’elle veut ? Le médecin de SP le sait plus qu’elle ? Quel déni de l’autonomie humaine, quel déni de compassion : voilà le vrai scandale !

• Nonobstant certains médecins idéologues qui travaillent dans les unités ou maisons de SP, un nombre croissant de ces maisons (6 sur 32 en date de juin 2018) dispensent maintenant l’AMM dans leur offre de soins de fin de vie et respectent ainsi les souhaits, valeurs et convictions des malades. On ne peut qu’espérer que les autres vont se recentrer sur l’intérêt des malades et vont se rallier à cette position juste, raisonnable, légale, humaine et respectueuse.

Une majorité de médecins, selon les sondages, sont plus accueillants et à l’écoute de l’autre, et plusieurs pratiquent en soins palliatifs ET offrent l’AMM aux patients qui répondent aux critères. Plusieurs membres de votre C.A. sont parfaitement au courant des enjeux des SP et de l’AMM et je ne nommerai parmi ceux-là que le Dr Alain Naud, médecin de SP au CHU de Québec, médecin de cœur que je connais plus que les autres et qui est très impliqué dans la défense des plus vulnérables.

Dr Bernard, j’ose croire que le débat suscité par votre lettre publique a dépassé votre pensée et que vous ne vouliez pas vraiment opposer aide médicale à mourir et soins palliatifs. Si c’est le cas tel que je le souhaite et le soupçonne, il serait louable de le préciser dans une autre lettre publique.

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