L’avis du nutritionniste 

Préparez-vous à la viande de labo

En 2013, le Dr Mark Post, de l’Université de Maastricht aux Pays-Bas, a dévoilé un projet sur lequel il travaillait depuis déjà de nombreuses années. Devant un auditoire, à Londres, on allait cuisiner et goûter un hamburger… Wow !

Mais plutôt que de provenir d’un bœuf qu’on avait abattu, cette viande avait été produite en laboratoire.

Il y a quatre ans, il était facile de trouver l’idée un peu folle et de douter de la viabilité de l’expérience. Mais aujourd’hui, alors que plusieurs entreprises ont emboîté le pas et que des noms comme Bill Gates et Richard Branson investissent dans cette technologie, tout porte à croire que nous nous approchons de l’arrivée, dans les supermarchés, de la viande de synthèse.

Un remplacement plus éthique

On sait que la production animale demande énormément de ressources, sous forme d’eau potable, de sols, d’engrais, de pesticides, d’antibiotiques et de nourriture. Après tout, on doit cultiver beaucoup de plantes, comme du maïs et du soya, pour alimenter le bœuf, le porc ou le poulet. Ceux-ci doivent ensuite convertir les calories ingérées en muscles et en gras, ce qui ne se fait pas nécessairement de façon efficace. Pour cette raison, l’élevage génère beaucoup de pollution.

Cette nouvelle technologie vise ainsi à produire de la viande à l’empreinte environnementale minime et à diminuer la souffrance animale. Plutôt que d’élever le bœuf au complet, on n’aurait qu’à faire pousser directement le filet mignon !

Comment ça fonctionne ?

De façon simplifiée, la technique utilisée par le laboratoire du Dr Post emploie des cellules souches qui sont placées dans un milieu nutritif. Celles-ci se multiplient et s’agglomèrent entre elles, ce qui forme un petit morceau de tissu musculaire. À partir de quelques cellules souches, il est possible de créer plusieurs tonnes de muscles, donc de viande.

Le hamburger de Mosa Meat, l’entreprise du Dr Post, était constitué de bœuf. Cela étant dit, d’autres variations sont désormais testées par de nouvelles entreprises. Memphis Meat, aux États-Unis, produit du poulet et du canard. SuperMeat, établie en Israël, s’intéresse également à la volaille de l’avenir. À San Francisco, Finless Foods travaille plutôt avec des cellules de poissons et de fruits de mer.

Surmonter les barrières à la consommation

L’entreprise américaine Hampton Creek affirmait cet été pouvoir fournir les supermarchés en viande de laboratoire dès 2018. Memphis Meat, qui bénéficie de l’appui du géant Cargill, estime lancer ses premiers produits en 2021. Mais évidemment, avant que ces souhaits deviennent réalité, les entreprises devront régler quelques problèmes techniques.

D’abord, le coût. La fameuse première boulette cuisinée devant les journalistes avait coûté 250 000 euros (375 000 $). Dans une entrevue en 2015, soit à peine deux ans plus tard, Mark Post estimait toutefois qu’il était maintenant possible de synthétiser son bœuf pour 80 $ le kilo.

Puis, le goût. Pour le moment, cette technologie a servi à cuisiner des aliments transformés comme des hamburgers ou des croquettes de poulet pané. Ce n’est pas pour rien. Recréer la complexité de saveurs et de textures de la viande d’élevage n’est pas une tâche simple. Mon petit doigt me dit que ces entreprises doivent présentement pallier le problème en masquant le tout d’épices, de panure et de sauces.

Et la santé ?

Mais imaginons un instant que d’ici quelques années nous ayons accès à un produit compétitif en ce qui a trait au prix et où il est impossible d’identifier l’origine tellement l’imitation est parfaite. À mon sens, il reste un aspect que je n’ai vu personne remettre en question jusqu’à présent.

S’il existe une constante en alimentation, c’est que manger une variété de denrées est généralement bénéfique à la santé. D’un côté, on s’assure de rechercher tous les nutriments nécessaires, mais on minimise également les risques potentiels.

Si on découvrait demain matin que les pommes sont toxiques, qui seraient les plus affectés ? Ceux dont ce fruit n’en représente qu’un parmi tant d’autres dans leur alimentation ? Non. Ce sont ceux qui mangent des pommes tous les jours qui auraient été exposés davantage au danger.

Ainsi, peu importe la catégorie d’aliments, on conseille de maximiser la diversité. Mais la viande de laboratoire évacue totalement cette variété quand à peine quelques cellules souches, provenant d’un seul animal, se multiplient et permettent de produire des tonnes de muscles. Quel serait l’impact de cette chute de la diversité dans l’alimentation humaine ?

Évidemment, on est encore au tout début de la technologie et personne ne possède la réponse à cette question. Je ne suis pas contre la nouveauté, mais je lève ici un drapeau rouge. Les fabricants devront y réfléchir sérieusement avant de me convaincre qu’il s’agit d’un substitut réellement intéressant pour les consommateurs. D’autant plus qu’on dispose déjà d’une solution très efficace pour répondre aux problématiques que tentent de résoudre ces entreprises :  manger moins de viande.

En attendant, je me contenterai de mes lentilles, de mes pois chiches, de mon tempeh et de mon végéburger.

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